Comme le mentionne Frédéric Mazzella (Fondateur de Blablacar) dans l’interview “Hypercroissance : les 4 conseils pour éviter une sortie de route” accordée à BPI France, le défi majeur des jeunes entreprises à fort potentiel réside dans le fait d’être en mesure de “Préparer sa structure à grandir”.
Pour ce faire, de plus en plus d’entrepreneurs s’inspirent des best practices militaires (cf. utilisation de termes tels que “war room”, “task force” ou encore “mode commando”) afin de structurer et d’animer leurs opérations au quotidien.
Dans ce contexte, Alexis Alvarez* (investisseur chez [Pépite.]) s’est penché sur les bonnes pratiques “scaling” inspirées des armées ayant fait leur preuve dans l’écosystème startup/scale-up. Pour ce premier article d’une série de cinq, il a choisi l’enjeu suivant : Consolidation de l’encadrement.
*Saint-Cyrien, Capitaine au sein du 54ème Régiment d’Artillerie (2014-2021), Area Manager chez Amazon (2021), Regional Manager chez Flink (2022-2023) et aujourd’hui Directeur régional chez Tesla.
C’est le terrain qui commande
La maxime “le terrain commande” est omniprésente dans le milieu des Armées, parfois également dans le milieu du privé. Elle est simple, percutante, évidente. Elle soulève pourtant une question cruciale, le terrain commande, oui, mais qui est sur le terrain ?
Jeune Lieutenant, puis Capitaine, la première partie de carrière d’un Saint-Cyrien est constituée en majeure partie de terrain. Le jeune officier part en exercice, en mission, en opérations extérieures avec son équipe. Il dort dans la jungle, dans un hamac humide, pagaie avec ses hommes sur un fleuve marron, mange froid sa ration de combat, conduit de nuit dans des montagnes rocailleuses, court casque sur la tête au son des obus.
Cette proximité, voulue par l’institution militaire, permet de faire ses premières armes, de comprendre la complexité opérationnelle, de se forger une légitimité, pour ensuite prendre des décisions avisées en État-Major. Car arrive vite le jour où le jeune Saint Cyrien se retrouve propulsé dans les centres de commandements, surtout s’il réussit la prestigieuse École de Guerre.
A ce moment de sa carrière, le terrain ne sera plus omniprésent. Les complexités opérationnelles, elles, y seront toujours. Il faudra alors s’être entouré d’un encadrement de terrain compétent, bien formé, capable de produire un reporting avec précision, faire preuve d’intelligence de situation, et surtout de confiance. Cet encadrement présent sur le terrain est probablement le maillon le plus important d’une chaîne opérationnelle.
Le parallèle est aisé dans le monde du privé.
Par exemple chez Flink France, le General Manager en poste lorsque j’y travaillais a ouvert le marché avec quelques magasins où il prenait parfois lui-même des shifts pour assurer l’amplitude horaire d’ouverture. Il gérait tout, du litige client en magasin à la supply chain, en passant par le recrutement, le département legal, le marketing, etc.
Certes, il s’agit de la vie d’un Founder ou d’un GM. Un passage obligé au lancement d’une start-up. Cela dit, lors d’un scaling, le GM ne peut plus se permettre de passer tout son temps sur le terrain. Ce temps, il ne l’a tout simplement plus.
Quand une société passe de 2 à 24 magasins, de 50 à 900 collaborateurs, de 500 à 20.000 commandes par semaine, le GM doit se mettre dans le poste de pilotage, prendre de la hauteur de vue, et diriger son business pour éviter le crash. Son encadrement prend alors le relais pour l’aider à gérer la routine opérationnelle ou les situations de crise.
De même, chez Tesla, passer de 2600 ventes en 2012 à plus de 1.8M en 2023 ne s’invente pas. Cette croissance exponentielle, battant tous les records, notamment avec un modèle Y qui est le plus vendu au monde, implique une adaptation rapide de l’organisation qui doit suivre l’évolution business. La start-up Tesla prend la dimension d’une multinationale.
Scaler son business, c’est avant tout scaler son staff, dont la première étape est de consolider son encadrement.
En voici quelques tips sur le plan de la structuration des opérations.
Construire une structure adéquate formalisée dans un organigramme clair
La première étape d’une consolidation doit accompagner la croissance du business. Il faut appréhender les nouveaux besoins pour y coller/construire une structure adéquate.
Force est de constater qu’un organigramme “flat” ne fonctionne pas, et encore moins lors de crise ou en war room car plus il y a de chefs, plus il y aura de contre-ordres. On a déjà tous vu, ou participé, à des activités de groupe avec une multitude d’acteurs souhaitant donner son avis, voire diriger. Le résultat final est chaotique. Si vous êtes déjà en start-up, je vous invite à faire le test sur un exercice simple tel que le “marshmallow challenge”.
Pour construire un bel organigramme, il doit être hiérarchisé, avec les échelons aux bons niveaux et en définissant les profils en fonction des décisions à prendre (impact business) et du nombre de reporting lines directes.
Par exemple, dans le cas d’une entreprise retail on peut définir 3 niveaux : local, régional, national. Facilement déclinable en fonction du nombre de sites en 5 niveaux : local, départemental, régional, sectoriel, national.
Sur chacun des niveaux définis, on regarde ensuite s’il y a des verticales différentes : équipes commerciales (force de vente), équipes service après-vente (satisfaction client), équipes de livraisons (force opérations).
De cette façon, la direction d’une entreprise est capable de déterminer les niveaux de hiérarchie, les profils à recruter, et la latitude des décisions pouvant être prises en toute autonomie.
Une fois l’ossature principale posée, il est tout à fait possible, voire recommandé, de créer des “passerelles”, des fonctions supports facilitant les interactions. Ces “crossbonds”, si bien pensés, seront d’une efficacité redoutable.
Une hiérarchie est absolument compatible avec une proximité.
Un bon leader est proche de ses collaborateurs, les accompagne, les fait évoluer. Il sait se rendre sur le terrain (même s’il n’en assure pas la gestion courante), mettre les mains dans le cambouis, comprendre les complexités, et diriger en donnant l’exemple sans tomber dans l’écueil du micro-management.
Une best practice tirée des Armées est de diriger comme l’on aimerait être dirigé. S’imposer la même exigence, voire plus d’exigence, que celle que l’on demande à son équipe. Un bon leader ne déploierait jamais un process qu’il n’a pas lui-même éprouvé.
Imaginez une cérémonie militaire. Le leader vérifie la tenue des ses soldats, rien ne doit dépasser : le repassage des chemises millimétré, les médailles alignées, les fourragères en bataille, les armes rutilantes. Si le leader n’a pas lui-même une tenue impeccable, il n’a aucune légitimité, perd sa crédibilité, et la confiance de ses troupes. Cette situation est complètement transposable en entreprise et ce, peu importe le secteur.
Pour une optimisation de l’organigramme, il est déconseillé d’avoir plus de 10 reporting lines directes. Ponctuellement, la charge de travail peut être absorbée, mais sur le long terme il y a une perte d’efficience inévitable.
La règle des 3 peut être un bon compromis et est appliquée dans les structures opérationnelles. Un Chef pour trois collaborateurs. Prenons un Chef de section pour 3 Chefs de groupe. Un Chef de groupe pour 3 Chefs d’équipes. Un Chef d’équipe pour un trinôme. Voilà une section de 40 personnes.
Promouvoir un esprit de corps
Les forces Armées sont un reflet de notre société car on y retrouve tous types de profils : des passionés, des timides, des studieux, des pragmatiques, etc. Ainsi que toutes les classes sociales. Ces soldats, d’abord recrues, deviennent des frères d’armes, et avancent vers un objectif commun. La cohésion est un sentiment d’appartenance à un groupe, inébranlable dans l’adversité. Celui qui comprend le mécanisme permettant à des inconnus de devenir plus soudés que les doigts d’une main sera capable de consolider un encadrement bulletproof pour scaler son entreprise.
La première étape pour y parvenir est de mettre chacun des collaborateurs sur un même pied d’égalité. Avant tout, avant d’être classifié par notre société ou notre culture, nous sommes humains. L’être humain, comme toute espèce grégaire, a besoin de se souder. Dans une start-up qui se scale, tous les ingrédients sont réunis pour celui qui aura la bonne recette.
Pour avoir eu la chance d’œuvrer au sein de différentes startups et scale-ups, force est de constater qu’on y trouve des moments difficiles, des moments de doutes profonds. Le premier ingrédient est la “difficulté”.
On trouve aussi un sentiment de privilège, ressenti par ceux présents early-stage, en début d’aventure. Sentiment de bâtir, incroyable, qui donne des ailes à qui croit au projet. Le second ingrédient est “l’unicité”.
On trouve également des moments de fêtes. Les premières victoires, celles dont la célébration est tant mémorable par la quantité de travail qu’il aura fallu abattre que par la joyeuse soirée qui réunit les troupes. C’est le troisième ingrédient : “récompense”.
Ces émotions, combinées à une bonne vision du scaling, permettront de renforcer la confiance de votre encadrement. Confiance qui est le ciment grâce auquel vous allez déployer votre organigramme.
Un des rituels militaires regroupant en un évènement ces trois ingrédients est la cérémonie des Couleurs. Une fois par semaine, généralement le lundi ou le vendredi, l’ensemble des militaires se réunit par unité autour de la levée du drapeau français. Cette montée de l’étendard est suivie du chant de la Marseillaise puis d’un discours du Chef.
Difficulté car peu importe les conditions, neige, pluie, vent, température négative, canicule, tout le monde est dehors dans la tenue de la première activité pendant plusieurs dizaines de minutes. Difficulté car parfois le drapeau est en berne et le discours chargé d’émotions.
Privilégié car sensation de participer à un moment qui nous dépasse en tant qu’individu. Tous ceux qui s’engagent pour la patrie, prêt à tous les sacrifices, se retrouvent lors des Couleurs.
Festif car souvent, les forces Armées profitent de ce moment pour récompenser ses meilleurs éléments, distinguer les gagnants d’un challenge sportif, ou pour célébrer un Saint-patron.
En entreprise, la cérémonie des Couleurs serait le All-Hands. Ce rituel managérial souvent négligé devrait en réalité être chargé de sens pour les collaborateurs.
Un encadrement solide se doit d’avoir une communication solide.
Dans le film l’Honneur d’un capitaine, de Pierre Schoendoerffer, le fameux ordre “Descendez-le” en est l’illustration parfaite. Le capitaine Caron, combattant en Algérie, demanda à la radio à l’un de ses encadrants de “descendre” un prisonnier depuis le haut d’une colline jusqu’à son Poste de Commandement. L’encadrant tua le prisonnier car comprenant qu’il lui fallait le “descendre”. Caricatural mais suffisamment réel pour avoir animé un procès entre la veuve du Capitaine Caron et le professeur Paulet.
Déployé comme jeune Lieutenant au Liban en 2017, les règles d’engagement étaient définies par une résolution Onusienne. Dans ce contexte, un avion de combat effectuant un acte hostile dans l’espace aérien libanais pouvait être engagé par la Force, ce qui arriva d’ailleurs pendant le mandat. Des avions de chasse F-35 israéliens simulaient des manœuvres de combat juste au-dessus de nos positions ainsi que de celles des villages libanais. Malheureusement, nos procédures de communication ne nous permettaient pas d’avoir un ordre de tir direct de la part du Ministre en moins de 5 minutes. (temps que prend un avion de chasse pour parcourir le Sud-liban dans toute sa largeur et tirer au canon ou de lâcher quelques bombes). La situation était des plus ambiguës, d’un côté l’engagement était légal mais risquait d’engendrer un énorme incident diplomatique, de l’autre, l’ordre de tir se devait d’être approuvé par un chef à plusieurs milliers de kilomètres de nous. Ambiguïté exacerbée par une communication indirecte.
Dans une entreprise, la circulation de l’information au bon niveau au bon moment est déterminante. En effet, avoir un bon niveau d’information accélère le processus de prise de décision.
Distinguons 3 niveaux de communication :
- Les ressources.
- Les opérations.
- Les astreintes.
Les ressources servent de repères aux collaborateurs. Elles synthétisent le savoir, les process, les références. Utiles aux nouveaux arrivants comme aux collaborateurs chevronnés, les ressources doivent être bien organisées et mises à jour régulièrement. Imaginez une bibliothèque sans organisation et contenant des livres obsolètes, personne ne trouverait ce qu’il cherche ou même n’aurait envie d’y entrer. Les ressources sont généralement sur des canaux ouverts ou des sharepoints.
Les opérations sont collaboratives. Communiquer dans un flux opérationnel doit respecter certaines guidelines pour ne pas saturer l’espace d’échange. Dans les forces armées, les procédures radios font l’objet de plusieurs heures de formation. En entreprise, il est recommandé de s’inspirer de la channelisation.
Les astreintes sont une best practice à mettre en place. Elles assurent la continuité de l’information et permettent des prises de décisions en dehors des heures de travail.
Plusieurs critères définissent une astreinte.
Le premier critère est la technicité (ou savoir-faire). Cette technicité permet de dimensionner les équipes. Par exemple, dans un Centre de commandement en opérations, on observe des cellules. La cellule renseignement (S2), la cellule opérations (S3), la cellule communications (S4), la cellule instruction (S5), etc. Chaque cellule a une compétence spécifique et report au chef du Centre de commandement. En entreprise, les astreintes doivent dépendre aussi des compétences spécifiques. Une astreinte IT, une astreinte Supply, une astreinte Admin, etc. La dimension est donc donnée par le nombre de personnes partageant les mêmes savoir-faire.
Le second critère est la réactivité (ou temps de réaction). Lors d’un stage de résistance au stress auprès des Marins Pompiers de Marseille, j’ai pu passer trois jours avec une équipe de secouristes. Lorsque l’alarme retentit pour partir en intervention, de jour ou de nuit, il fallait être dans le camion, équipé, en moins de 2 minutes. De même, en opérations extérieures, la personne d’astreinte doit pouvoir répondre immédiatement. En France, les militaires en alerte Guépard sont déployables en 24h. Tous ces intervalles de temps permettent de définir la durée d’une astreinte. Si une réponse immédiate est requise, les astreintes fonctionnent généralement avec la règle des trois 8. Chaque personne est d’astreinte pendant 8h. Avec trois personnes, un cycle de 24h est ainsi complété. Plus la réactivité est courte, plus le shift doit être court.
Le troisième et dernier critère est la responsabilité (ou niveau de décision). Ce critère permet de définir les moyens de communications. En effet, plus le niveau de confidentialité est élevé, plus le canal de communication doit être efficace (et sécurisé). Si la personne d’astreinte, recueillant l’information, analysant la situation, n’a pas le niveau de décision nécessaire au moment d’une action à prendre, la méthode de communication vers un échelon supérieur se doit d’avoir été étudiée en amont.
Une astreinte opérationnelle efficace n’est pas pas simplement une personne à qui l’on jette un téléphone vendredi soir avant de partir en week-end. Les besoins de l’entreprise doivent être regardés au travers du spectre technicité, réactivité, responsabilité.
Ouverture
Chez [Pépite.], notre ambition est de partager les meilleures pratiques des Armées pour maintenir « embarquées » les équipes de nos clients malgré l’incertitude et l’inconfort du quotidien en opération.
Pour ce faire, nous avons créé le programme [Amiral.] animé par des Mentors aguerris sur des postes de direction/dirigeant en entreprise après une première carrière de Chefs militaires. Pour en savoir plus :