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Face à la pénurie de talents, les entreprises ont de plus en plus besoin de diversifier leurs canaux de recrutement. Avec 30 000 militaires quittant chaque année l’Institution (les Armées renouvellent tous les ans 10% de leurs effectifs pour des impératifs de jeunesse entre autres), les Armées constituent un réservoir de talents pour les entreprises. Or, malgré le fait que 86% des Français ont une opinion positive de leur armée (source : OpinionWay), la transition entre le monde militaire et le secteur privé n’est pas sans difficulté.
Le monde des Armées étant souvent mal connu depuis la suspension du service militaire, des idées reçues existent quant aux militaires. Idées reçues qui, à y regarder de plus près, intéressent les entreprises.
Les militaires manquent de souplesse
Depuis plus d’un siècle les termes “Honneur Patrie Valeur Discipline” forment la devise de la Marine Nationale, inscrite sur l’ensemble des bâtiments et navires de “La Royale”. Le terme de “discipline” a un sens très fort, en particulier sur un navire de guerre où un équipage doit œuvrer tout en étant limité dans l’espace. Le caractère exiguë intrinsèque à un navire fait que chacun des matelots, officiers mariniers et officiers doit obéir en ne sortant pas de son champ d’action. Exécuter des ordres “avec le doigt sur la couture” peut apparaître aux yeux des non-initiés comme une forme de soumission à un environnement rigide.
L’exemple du déploiement d’un navire hôpital pour une opération d’assistance permet de comprendre ce qu’apporte cette forme d’inflexibilité : l’interopérabilité et la coordination. Lors d’une situation critique, il est indispensable que chacun réalise précisément ce qui lui est demandé et sans que rien ne dépasse car tout est interdépendant : les hélicoptères allant récupérer des blessés, le “bosco” (cf. maître d’équipage) en charge de la manœuvre, l’équipe médicale en charge de préparer les soins à prodiguer, etc. Une structure parfaitement établie et un respect absolu des tâches confiées ainsi que du périmètre d’activité permet de limiter les frottements, tout en gardant en tête que c’est le terrain qui commande et qu’il faudra s’adapter aux aléas.
Force est de constater que beaucoup d’entreprises attendent en recrutant un ancien militaire qu’il apporte une forme de méthode battle proven se traduisant en plusieurs points. D’une part, cela sous-entend un sens de l’organisation qui permet de répartir les rôles en utilisant au mieux possible chaque ressource (à noter que le fait d’être directif n’exclut pas la sympathie et a finalement tendance à rassurer !. D’autre part, cela se traduit par la culture des process (ce qui doit être fait est écrit “en temps de paix”) qui sont mis en oeuvre et surtout répétés au plus possible en amont (cf. méthode appelée le “drill” par les militaires) afin d’acquérir des actes réflexes précis le jour où la situation peut devenir tendue, comme un pic de charge de commandes lors des fêtes de fin d’année.
Les militaires n’ont pas de culture business
Les Armées sont avant tout une institution et comme tout service public, elles n’ont pas vocation à dégager de la marge comme doit le faire un acteur du secteur privé. Les logiques des mondes militaires et de l’entreprise sont donc naturellement différentes avec une dissociation entre “centre de coût” et “centre de profit”. Le fait que les Armées n’agissent pas avec une approche orientée “rentabilité” vis-à-vis de clients payeurs peut refroidir certains recruteurs dans le privé pourtant, les militaires ont d’une certaine manière cette approche business.
L’exemple du déploiement de militaires du 3ème RPIMa et 3ème REI lors de la catastrophe naturelle Irma illustre une forme d’approche business qu’ont les soldats et ce, autour du service du client car : la mission est sacrée. En l’espace de quelques heures suite au passage de l’ouragan sur les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, des centaines de parachutistes et de légionnaires se sont articulés afin de répondre à des “leads clients” qui ne sont autres que des milliers d’habitants en détresse. Ainsi et dans l’urgence, les militaires ont su composer avec des moyens qui n’étaient pas encore acheminés afin de répondre aux différents besoins pour la mise en place de vivres ou encore pour des travaux de déblaiement.
Bien qu’il n’y ait pas de notion de rentabilité, les Armées ont pour démarche celle de chercher à optimiser leurs ressources pour avoir le maximum d’effet. De plus, chaque militaire est animé par un sens du service qui est souvent au cœur des préoccupations des entreprises. Ainsi, la maxime militaire “être à l’heure, c’est déjà être en retard” illustre la culture du résultat qui règne au sein des Armées et qui séduit les entreprises car vouloir répondre aux attentes de son Chef ou de populations en détresse, c’est avant tout rechercher la satisfaction client.
Les militaires sont trop verticaux
L’article D4131-2 du Code de la Défense stipule : “Le titulaire d’un grade a le devoir de faire respecter les règles générales de la discipline par tous les militaires qui sont placés au-dessous de lui dans l’ordre hiérarchique, même s’ils ne relèvent pas fonctionnellement de son autorité. Tout militaire est tenu de se conformer aux instructions et d’obtempérer aux injonctions d’un autre militaire, même placé au-dessous de lui dans l’ordre hiérarchique, si ce dernier est en service et agit pour faire respecter les ordres qu’il a reçus.”. A la lumière de ces éléments, un non-initié peut s’imaginer un environnement “top-down” où les chefs donnent des ordres de manière arbitraires et où les soldats obéissent sans réfléchir.
L’exemple des unités militaires spécialisées en libération d’otages (GIGN, Forces Spéciales et Service Action de la DGSE entre autres) permet de comprendre que l’environnement des Armées est bien plus nuancé qu’il n’y paraît. Il serait impensable d’imaginer qu’un opérateur puisse sous la seule impulsion d’un ordre franchir une porte derrière laquelle peuvent s’être retranchés des hostiles. Il est attendu d’une part du Chef qu’il sache donner du sens à l’action qui va être réalisée et ce, encore plus lorsque le risque est élevé. D’autre part, le Chef doit être en mesure de donner mais aussi de recevoir la confiance de ses hommes, ce qui passe inévitablement par un management participatif. Pour exemple, c’est souvent le plus jeune Nageur de combat d’un groupe qui prend la parole en premier lors d’un débriefing, afin de s’assurer qu’il ait voix au chapitre devant des anciens expérimentés.
La verticalité est saine lorsqu’il s’agit de donner des consignes dans l’urgence car éviter le risque de tergiversation peut sauver des vies. Cependant, dans une mission commando, il est aussi nécessaire de prendre le temps pour fédérer et responsabiliser chacune des parties prenantes (renseignement, vecteurs de transport,, télécommunications, etc.) autour d’un objectif commun. Dans une économie souvent incertaine, les entreprises attendent d’un ancien militaire qu’il puisse recréer une cohésion parfois perdue (seuls 6% des salariés français se sentent engagés dans leur entreprise | source : Gallup) et qu’il sache donner un cap, trancher et faire preuve d’exemplarité.
Des talents encore sous-estimés par beaucoup d’entreprises
Issus de la société civile dans laquelle ils sont pleinement intégrés, les membres de la communauté de la Défense (y compris les conjoints) font très majoritairement l’objet d’une curiosité bienveillante de la part de leurs entourages professionnels. Leur culture de l’esprit de corps comme leur attachement au travail bien fait et à la confiance en équipe en font des atouts précieux dans les organisations qu’ils rejoignent à l’issue de leur engagement sous les drapeaux.
En cela, ils représentent un atout majeur pour les dirigeants. Formés tout au long de leur carrière, attirés par le challenge, ils savent apprendre et se remettre en question pour affronter les nouveaux défis proposés par leur reconversion. Ils sont un atout majeur pour faire face aux problématiques RH d’aujourd’hui.