Stanislas : De militaire à Directeur de site dans le secteur logistique
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Quel est votre parcours militaire ?
J’ai intégré l’Ecole Spéciale Militaire de Saint Cyr pour 3 ans de formation et j’ai ensuite rejoint Draguignan pour une année de spécialisation au sein de l’Ecole d’Artillerie. J’y ai eu la chance d’être mélangé avec des officiers de toutes origines : Saint Cyr, EMIA, OAEA et Rang. Cela m’a permis de rencontrer des anciens qui m’ont aiguillé vers le 61ème Régiment d’Artillerie et plus particulièrement la filière drone pour ces perspectives en matière de renseignement mais aussi de projection très rapide : on rentre quand même tous dans l’armée pour cela ! Un autre élément qui m’a attiré était l’autonomie et le fait d’évoluer en équipe resserrée car le fait de travailler à partir d’une poignée d’ordres de recherche et de devoir nous débrouiller pour obtenir les informations me motivait beaucoup. En effet, j’appréciais d’avoir un point à atteindre mais de pouvoir l’atteindre de la manière dont je le souhaitais.
Au-delà des différents systèmes que j’ai pu découvrir dans mes différentes affectations, j’ai pu notamment me spécialiser en renseignement humain conversationnel et agir dans différentes positions lors des quatre opérations extérieures auxquelles j’ai pris part.
La première était en individuel au Kosovo où j’intervenais sur une fonction “imagerie” à partir de prises de vue aériennes et de remises à jour des plans de défense sur les enclaves serbes. La deuxième était en Bosnie comme responsable du détachement de renseignement humain où je pilotais cinq équipes qui évoluaient dans les différentes zones serbes, croates et bosniaques (une équipe est souvent constituée d’un chef d’équipe, d’un adjoint, d’un conducteur et d’un interprète). La troisième était à nouveau au Kosovo mais cette fois-ci sur du renseignement humain en qualité de chef d’équipe. La quatrième enfin était en Afghanistan où j’étais patron du détachement de drones et donc conseiller du colonel commandant le GTIA (groupement tactique interarmes).
J’ai ensuite rejoint le Corps de Réaction Rapide à Lille, qui est un état-major OTAN au sein duquel je suis resté deux ans. Je comptais utiliser cette période pour préparer ma sortie et j’ai été chanceux car le rythme est toujours plus soft en environnement international qu’en environnement franco-français.
Pourquoi et quand avez-vous quitté l’institution ?
La première chose est que j’arrivais à un moment où j’allais basculer, après une première partie de carrière opérationnelle, vers un poste d’officier en état-major. J’avais 35 ans à l’époque et cela me semblait tôt pour se poser. Après sept années de renseignement, mon souhait était de rester dans le renseignement. J’avais donc passé les premiers entretiens pour rejoindre la DPSD (direction de la protection et de la sécurité de la Défense) mais la direction des ressources humaines s’y est opposée sans d’ailleurs me laisser terminer le process. Il est certain que mon étiquette “Saint-Cyrien, Scientifique, Artillerie” ne jouait pas en ma faveur pour prendre une nouvelle direction.
Au-delà d’avoir un certain caractère, je trouvais dommage le fait d’avoir misé sur mon expérience pendant sept années pour me faire faire autre chose ensuite. Sur le plan personnel, j’avais aussi eu quelques frictions avec des supérieurs qui m’ont desservi en matière de projection, malgré avoir, je pense, plutôt bien performé lors de ma dernière opération extérieure. Il y avait aussi au Corps de Réaction Rapide un Lieutenant-Colonel de huit ans mon aîné qui faisait peu ou prou la même chose que moi. Je ne me voyais pas faire cela pendant 7 ans. C’était en 2011 et je me suis alors dit qu’il fallait que je regarde ce qui se faisait ailleurs : comme je le disais à mes hommes : « si vous n’adhérez pas, quittez ». Je n’allais donc pas rester pour rester.
Comment s’est alors passée votre transition ?
Je me suis rendu compte qu’il fallait que je rajoute une ligne à mon CV, qui pouvait être soit spécialisée, soit généraliste. Ne sachant pas exactement ce que je voulais faire et ayant été un officier plutôt généraliste, j’ai fait le choix de rester généraliste en me dirigeant vers un MBA que j’ai fait de 2013 à 2014 au sein de l’EM Lyon. J’ai choisi le parcours « full English » afin de justifier le fait que je savais parler anglais (ce qui est important dans le monde privé).
Cela m’a aussi permis de rencontrer des personnes venant de tous horizons, aussi bien en termes de nationalité, qu’en termes professionnels (financiers, RH, ingénieurs, etc.). Cet aspect m’a, d’une certaine manière, aidé à me rassurer car un militaire est finalement très protégé dans l’institution, ce qui fait qu’on ne sait pas réellement ce qu’il se passe à l’extérieur. J’ai pu voir que sur des sujets auxquels je ne connaissais rien, comme la finance ou le marketing, je n’étais pas complètement largué et qu’avec un bon cours, un peu de bon sens, quelques lectures et un peu de travail, un militaire n’a rien à envier aux autres. Les personnes qui évoluent au sein de l’entreprise sont finalement comme nous !
J’avais initialement une connaissance du monde civil et privé proche du néant
Là où un MBA fait par un employé qui est déjà dans le secteur privé va lui permettre d’accrocher un poste supérieur, le MBA que j’ai fait m’a permis de susciter l’intérêt. En prenant ce virage à X° (certains disent 180 mais ce n’est pas tout à fait le cas selon moi), cela m’a permis de me dire que j’étais capable de m’adapter et de réussir car j’avais initialement une connaissance du monde civil et privé proche du néant.
C’est en discutant avec différentes personnes (civiles et anciens militaires reconvertis) que j’ai découvert le poste de business manager. Un camarade Saint-Cyrien qui travaillait dans un cabinet de recrutement m’a dit qu’il me voyait bien sur ce type de poste et après des recherches sur Google, j’ai vu que c’était un poste qui réunissait trois piliers intéressants : le management d’équipe, le développement commercial et la gestion d’un compte d’exploitation.
Comment avez-vous abordé le poste de Business Manager en tant qu’ancien militaire ?
Pour la partie management d’équipe, il n’y avait à mon sens pas de soucis, bien que le modèle ne fût pas le même avec des consultants qui sont chez le client. En effet, il ne s’agit pas de management de proximité mais cela reste quand même du management dans le sens où l’on suit les consultants, on fait des points avec leurs clients, on prend des nouvelles, on les note, etc.
Sur la partie finance, j’avais entendu que dans le privé, le compte d’exploitation était le nerf de la guerre donc il me semblait plutôt pertinent de commencer à gérer un petit compte d’exploitation. Enfin, sur la partie développement et relations commerciales, c’était une chose que je ne connaissais absolument pas même si je l’avais légèrement vu en MBA. Il me semblait donc intéressant de développer cette compétence que je n’avais pas.
Comment s’est passée votre première recherche d’emploi ?
Je ne savais pas du tout à l’époque ce que je voulais faire. Il y avait à l’EM Lyon une cellule “recrutement & carrière” mais elle était un peu faible pour moi, certainement du fait de mon profil. Quelqu’un qui vient déjà du monde privé connaît au moins cet environnement de l’entreprise, ce qui n’est pas réellement le cas pour un militaire. Il y a une réelle ignorance de ce qui existe. Je me suis lancé dans l’aventure sans avoir de point à atteindre, ce qui est très rare pour un militaire !
Le fait de vouloir découvrir un nouvel environnement me donnait alors plus d’énergie que ce qui m’attirait. J’ai donc passé un premier entretien dans une petite entreprise à Lyon, qui n’a pas marché. La période de recherche sans être payé entre août 2014 et janvier 2015 a été, je dois le reconnaître, quelque peu stressante. Souhaitant intégrer ce type de fonction, j’ai rapidement atterri chez les grands du secteur et via LinkedIn, j’ai réussi à entrer en contact avec les recruteurs, à passer les entretiens et à rejoindre Altran en janvier 2015.
Comment s’est passée cette première expérience ?
J’ai eu la chance de me voir confier un périmètre déjà existant, du fait que j’avais d’une certaine manière plus d’expérience que les nouvelles recrues sortant d’école de commerce et qui commencent généralement de zéro (charge à eux de se faire leur périmètre). J’ai donc récupéré des équipes chez Sagem pour soulager mon manager, du fait de mon expérience et qu’il y avait chez ce client des consultants en optronique, ce qui pouvait favoriser le lien avec ce client de par mon expérience passée (capteurs des drones). C’était un bon pari puisque je me suis plutôt bien entendu avec les prescripteurs mais j’ai aussi dû faire un effort important sur la partie relationnelle : décrocher le téléphone était une chose avec laquelle je n’étais vraiment pas à l’aise et je suis content aujourd’hui d’être passé par là.
Les comptes d’exploitation dans les ESN (entreprises de services numériques) ne sont quant à eux pas très compliqués : j’ai une masse salariale et je facture. Le gros point positif était donc la montée en compétences sur la partie relations commerciales dans la façon dont sortir de sa zone de confort et à être capable de solliciter un client. Un départ m’a permis de récupérer au bout d’un an un environnement chez Dassault Aviation. Le manager qui partait, bien que plus jeune que moi, a émis le souhait que je récupère ce grand compte car il m’estimait plus en mesure de coller avec ce client exigeant. Après ces deux ans, je me suis dit qu’il était temps que je me manifeste.
Il y a souvent chez les anciens militaires une forme de complexe
Lorsque l’on vient de basculer dans le monde de l’entreprise, il y a souvent chez les anciens militaires une forme de complexe faisant qu’on aime bien tout maîtriser et que de ce fait, on ne demande rien tant que l’on ne sent pas que tout est absolument maîtrisé. Malgré ce complexe, j’ai demandé à évoluer car je pilotais un périmètre deux à trois fois plus important que ce qu’un manager peut avoir (une vingtaine de consultants pour un manager alors que j’en étais presque à 60). Cette demande a été accueillie par un refus que je perçois avec une once de mauvaise foi. En effet, on peut dire à l’armée que l’on est bon mais il est difficile de trouver des billes sur le papier pour le mettre en avant or dans le privé, les choses sont plus factuelles avec un business plan à respecter chaque année. Soit on ne l’atteint pas, soit on l’atteint voire on le dépasse.
J’avais dépassé mes objectifs la première année mais l’objection était que j’avais un business plan facile. Après avoir à nouveau dépassé mes objectifs la deuxième année, il m’a été répondu que je devais encore prendre de l’assurance. J’avais 37 ans à l’époque, il n’était pas question que l’on me fasse marcher à la carotte pendant des années et du fait que l’équipe qui m’avait recruté ait été remplacée par une direction plus commerciale qu’humaine, la vision de « comment faire du business » était devenue complètement différente de la mienne et j’ai donc commencé à regarder ce qu’il se faisait ailleurs.
De quelle manière avez-vous abordé ce nouveau rebond ?
A nouveau, du fait du manque de connaissance du monde privé, j’ai été dans la facilité à regarder la concurrence. J’ai alors pu voir que le système était souvent le même : « vous n’avez pas géré un manager donc vous ne pouvez pas le faire ». Tant mieux, car encore une fois de manière très fortuite, c’est en discutant avec d’autres personnes que j’ai réellement pu identifier ce qui m’intéressait : gérer des équipes et de la finance (tant sur la partie compte d’exploitation que sur le jeu de la négociation).
J’avais aussi vécu deux situations différentes avec d’un côté le développement commercial chez un client existant et le développement commercial pur. Il était clair que mon ADN n’était pas dans la chasse. En revanche, j’apprécie de travailler avec un client existant et ce sur des enjeux comme la qualité de service et la satisfaction client. Une des personnes avec qui j’ai échangé avait travaillé dans le secteur logistique et plus particulièrement au sein du Groupe STEF. Elle m’a fait découvrir que gérer un entrepôt pouvait correspondre à mes aspirations et je me suis donc lancé.
Je ne pouvais pas être parachuté à la tête d’un site. Cela me semblait absolument logique.
J’ai alors rencontré des RH et des cabinets de recrutement, ce qui m’a fait arriver de fil en aiguille chez Kuehne + Nagel en septembre 2017 pour un poste de directeur d’exploitation (le numéro deux d’un site). Le DRH France m’a dit de manière très transparente que, du fait que je n’avais pas d’expérience en logistique, je ne pouvais pas être parachuté à la tête d’un site. Cela me semblait absolument logique car il est nécessaire de savoir ce que sont des flux logistiques. Le compte d’exploitation est aussi plus compliqué que dans mon ancien emploi avec des postes de coût liés au bâtiment ou encore aux matériels utilisés. Les unités d’œuvre facturées au client sont elles aussi différentes : il ne s’agit pas d’un tarif journalier pour un consultant). Autre élément très important : le directeur de site gère les IRP (les élus et les syndicats).
Lorsque l’on n’est jamais intervenu sur ces enjeux, il est assez difficile de franchir d’emblée toutes ces marches. Le « gentlemen agreement » était donc de commencer en tant que directeur d’exploitation et si tout marchait bien, de pouvoir évoluer vers un poste de directeur de site dans les deux ans.
Quel était votre périmètre d’intervention ?
J’ai occupé de 2017 à 2019 le poste de directeur d’exploitation où j’étais en charge de gérer les opérations du site et de faire en sorte que la satisfaction du client soit au rendez-vous par des opérations maîtrisées. Lorsque l’on parle d’opérations, il s’agit de manière très simpliste de décharger de la marchandise que l’on met en stock, de préparer des commandes que l’on charge et de gérer des stocks (il y a bien entendu des spécificités selon les clients). Mon client était Carrefour sur une partie « petit électroménager et culture » : quand un magasin commande X télévisions et Y PC, l’objectif est que la bonne quantité arrive le bon jour et en bon état de façon à ce qu’il n’y ait pas de remontées négatives du client final.
Il s’agissait d’une plateforme qui travaillait en 3 shifts avec 200 personnes au total (titulaires plus intérimaires). Le directeur de site qui m’a accueilli a passé le message très clairement aux équipes et à la direction de site, ce que j’ai trouvé vraiment bien à l’époque : « Stanislas nous rejoint non pas pour nous expliquer comment la logistique fonctionne mais pour manager les équipes et les faire grandir à chaque niveau de hiérarchie ».
Il s’agit d’une organisation assez pyramidale avec laquelle un militaire est plutôt à l’aise
J’insiste là-dessus car on retrouve finalement dans un entrepôt une organisation assez militaire avec un directeur de site, son adjoint (le directeur d’exploitation), le directeur d’exploitation a souvent sous sa responsabilité un ou plusieurs chefs d’exploitation, qui à leur tour ont des chefs d’équipe, qui à leur tour gèrent des équipes. Il s’agit d’une organisation assez pyramidale avec laquelle un militaire est plutôt à l’aise. Mon objectif pendant ces deux années a été de savoir qui faisait quoi, de mettre de l’huile et de faire monter en compétences les personnes qui en avaient la capacité. Je me suis beaucoup retrouvé dans mes années de chef de section et de commandant d’unité durant lesquelles on cherchait à faire évoluer un brigadier en sergent par exemple. C’était le même mécanisme avec le fait de vouloir faire grandir un opérateur vers un poste de chef d’équipe : il s’agissait d’un gros travail managérial car la technique était finalement maîtrisée par les chefs d’exploitation.
La deuxième facette de mon travail était de travailler avec le directeur de site sur la gestion des élus et des comptes d’exploitation pour préparer mon avenir. Je trouve que c’est un métier qui se prête vraiment au recrutement des anciens militaires et d’ailleurs, pendant mes deux années, j’ai pu faire faire un stage de reconversion à un ancien militaire que j’ai ensuite recruté sur mon site actuel ; j’ai aussi recruté un autre profil au poste de chef d’exploitation. Leurs débuts se sont passés comme les miens : observation avec une position “en retrait”. Ces recrues se sont dit au début qu’elles ne savaient pas tout faire et une fois qu’il y a eu le déclic du « maintenant j’ai compris et je n’ai pas de complexes », les choses se sont déroulées naturellement.
Comment s’est passée votre évolution ?
Je ne connais pas d’autres entreprises que Kuehne + Nagel mais j’ai la chance de n’être tombé que sur des personnes qui m’ont aidé (je pense que c’est l’état d’esprit de l’entreprise). Que ce soient mes chefs ou mes équipes, l’accueil était véritablement bienveillant. Comme dans chaque entreprise ou même dans l’armée, j’ai eu mes entretiens annuels durant lesquels j’ai pu aborder mon souhait d’évoluer, ce qui a fait que l’on m’a demandé en avril 2019 de renforcer un autre site sur lequel le directeur d’exploitation était absent.
Ce renfort n’était pas anodin car le but était de voir si j’arrivais à gérer deux exploitations. Cela a duré trois mois et j’ai été reçu à l’issue par mon chef et ma DRH qui m’ont proposé d’évoluer ce qui m’a fait prendre au 1er juillet 2019 le poste de directeur de site. Ce poste avait une particularité : j’avais à ma charge un site traditionnel avec les équipes dans le site qui travaillent pour un client (environ 120 personnes sur deux shifts) mais aussi une équipe d’une vingtaine de personnes au sein de l’entreprise pour laquelle nous n’avions pas de site mais pour laquelle une partie logistique était prise en compte par des prestataires.
Il s’agissait d’un choix stratégique de ma part car j’avais pu faire de la grande distribution et cette opportunité était l’occasion de voir à présent de nouveaux clients dans les secteurs “automobile” et “aéronautique” car le but pour moi était de varier et d’engranger de l’expérience. En effet, le coup d’après étant pour moi de devenir responsable de région, je ne pourrais pas le devenir si je ne connaissais que la grande distribution et ces nouveaux secteurs permettent d’appréhender d’autres environnements clients et d’opérations. Les opérations d’une dalle « produit frais » ne feront pas du tout le même travail que sur des pièces détachées pour des camions ou de l’e-commerce d’habillement.
Sur quels éléments de votre expérience militaire avez- vous réussi à capitaliser ?
Le gros pilier est selon moi managériale. Malgré le poncif de certains recruteurs “nous recherchons des managers », j’ai pu me rendre compte qu’il n’y avait pas tant de bons managers dans le monde privé. Lorsque tout va bien, beaucoup peuvent avoir l’étiquette de bons managers, en revanche c’est lorsque cela commence à aller moins bien que l’on voit si cela tient la route, ou pas. Je pense que l’on apprend ça à tous niveaux dans l’armée car on manage généralement plus de difficultés que de facilités. Une difficulté se traite dès qu’elle apparaît, on ne se voile pas la face et on ne se cache pas.
Cette façon d’agir permet de désamorcer une situation avant qu’elle devienne ingérable mais aussi d’envoyer un message fort et clair aux interlocuteurs (client et collaborateurs).
Je me suis rendu compte que lorsqu’un problème est traité, sauf mauvaise foi patentée, cela est plutôt apprécié. Bien entendu, lorsqu’il y a un différend, on ne va pas forcément arriver à un accord qui fait plaisir à tout le monde mais au moins le sujet est réglé. Comme pour n’importe quelle population, il y a toujours ceux qui font bien leur travail, le ventre mou et ceux qui font mal leur travail. Le ventre-mou va du côté du vent et s’il voit qu’il y a de la justice, de l’équité, qu’on les pousse qu’ils ont des récompenses, il va aller du bon côté. S’il voit que ceux qui ne font rien ont tous les droits et qu’ils sont payés de la même manière, pourquoi se faire mal ? C’est parfaitement humain.
On a tous vécu à l’armée une situation où l’on nous a envoyé sur une mission sur laquelle nous ne connaissions rien
Je pense que ce qui est important est la capacité d’adaptation. On a tous vécu à l’armée une situation où l’on nous a envoyé sur une mission sur laquelle nous ne connaissions rien et il en est de même en entreprise. Je ne connaissais rien aux IRP, à la finance et à la logistique mais je suis arrivé avec de l’humilité, j’ai posé les questions comme lorsqu’on arrive lieutenant en régiment alors qu’on ne connaît rien à part l’école. Il y avait alors deux possibilités : soit arriver en disant à son sous-officier adjoint « c’est moi le patron maintenant », soit arriver en lui disant que l’on prend la section, que l’on va travailler ensemble et donc demander conseil. Cela se passe beaucoup mieux ainsi je pense.
Il y a dans mon entreprise un partage assez transparent et mon patron de site voyait que lorsque certains avaient des difficultés, le B.A.BA de ce que l’on apprenait à l’armée permettait de décoincer des situations. Cela paraît bête mais c’est important : du chef d’équipe jusqu’au chef de section, on a toujours eu notre petit carnet où l’on note les ordres du dessus, ce que l’on en fait et comment on les décline.
L’autonomie est aussi importante. On est dans une structure donc il y a toujours un N+1. Néanmoins, les chefs attendent une certaine autonomie : en tant que directeur de site, mon rôle n’est pas de traiter les opérations au quotidien car ce que l’on attend de moi est de traiter le client, la finance ou encore les RH, et mon directeur d’exploitation a toute latitude sur les opérations. Ce qui n’empêche pas d’échanger quotidiennement. Je suis directeur de site aujourd’hui et j’ai un directeur de région qui a plusieurs sites à gérer dont certains ne vont pas bien avec des clients plus compliqués. Le but n’est pas de le spammer et de l’embêter avec ce qui n’est pas de son niveau.
Selon vous, quelles sont les différences entre le monde militaire et celui de l’entreprise ?
Une chose importante est l’humain. On dit souvent dans l’armée que l’on a un grade mais ce n’est pas parce que les militaires obéissent au grade qu’ils respectent pour autant la personne. Je préférais être obéi et que mes équipes adhèrent, plutôt qu’elles répondent aux barrettes. Dans le privé, si le chef n’a pas l’adhésion, le fait d’avoir des barrettes est moins prégnant et la situation peut vite être délicate, notamment avec les syndicats. A deux chefs de section, s’il y en a un qui est autoritaire et l’autre plus près de ses hommes, les deux sections vont “grosso modo” avancer ou obéir même si cela va parler à la « popote ». Ce n’est pas le cas dans le privé car s’il y en a un qui est autoritaire, les syndicats peuvent s’en mêler et être capables de bloquer.
Au-delà des challenges liés à la rentabilité, je cherchais aussi une sorte de méritocratie. Le monde privé est d’une certaine manière sans pitié avec les personnes qui ne tiennent pas la route sur les hautes fonctions. Evidemment sur une dalle 200 personnes, on va d’abord accompagner et chercher à comprendre en revanche, j’ai vu des personnes débarquées du jour au lendemain au niveau directions régionales, ce qui n’existe pas dans l’armée.
Le côté positif à cela est que si l’on est motivé, même si nous ne connaissons à la base que très peu de chose au secteur, il n’y a pas de blocage à l’évolution. C’était mon cas et pourtant je ne fais pas partie du sérail. Ce constat est peut-être plus valable pour le secteur de la logistique et en particulier de mon entreprise car lors de mon précédent job, j’ai essayé d’intégrer un de mes clients dans l’aéronautique et si l’on n’était pas depuis tout petit dans l’entreprise ou si l’on n’était pas issu de Supaéro, on ne rentrait pas.
Quels seraient les conseils que vous pourriez donner à un militaire en recherche d’emploi ?
Cela passe forcément par de l’information après avoir répondu aux questions fondamentales : qu’est-ce je veux faire et qu’est ce qui me plaît ? Il ne faut pas partir du métier, sauf si on le sait déjà. Moi qui étais généraliste, je ne savais pas quel métier je voulais faire. J’aurais peut-être dû plus me renseigner mais je ne savais pas par où partir. Une fois que l’on voit à peu près le domaine ou le secteur d’activité, il faut prendre un maximum d’informations. J’ai évidemment des militaires qui me sollicitent et c’est avec plaisir que je leur réponds, surtout que si j’ai recruté des sous-officiers en tant que chef d’exploitation, c’est parce que j’estime que c’est le bon niveau avec des perspectives d’évolution !
Un ancien adjudant à qui l’on pourrait dire qu’il ferait un bon chef d’équipe, je lui dirais clairement « non ». Un ancien capitaine m’avait sollicité pour un poste de chef d’exploitation et je lui ai dit que ce n’était pas possible car il fallait qu’il prenne le niveau de poste supérieur. Chez Altran, je n’étais clairement pas au bon poste mais ce n’était pas grave car c’était ma première marche dans le privé et il faut intégrer le fait que le premier job n’est pas forcément le bon. Cependant, cette première marche m’a permis d’arriver dans mon entreprise actuelle et avec le recul, je me voyais bien patron de business unit chez Altran alors qu’on ne m’y voyait pas malgré le fait que je pensais en avoir les épaules. Je suis arrivé aujourd’hui à ce niveau-là mais dans une autre structure et dans un autre secteur d’activité.
Il faut être conscient de ses forces et de ses faiblesses. Il est évident qu’il y a une période d’observation puis une période où l’on va naturellement se demander s’il on est bon : il faut alors avoir confiance en ce que l’on a fait avant. Peut-être que l’on a été dans une certaine spécialité néanmoins, on a tous encadré des équipes. Là où un ingénieur qui sort d’école va être tout seul sur un projet, un militaire qui sort d’école de sous-officiers ou d’officiers a tout de suite des équipes et il n’a pas le choix que de les gérer, et j’ai l’intime conviction que l’on sait plutôt bien le faire.
Qu’est ce qui peut faire peur dans l’image d’un militaire et au contraire, qu’est ce qui peut rassurer un recruteur ?
Ce qui peut faire peur est l’image du « dans l’armée on donne des ordres et les personnes obéissent en-dessous ». Cela peut être trivial comme image mais je l’ai même vu en MBA avec une population « éduquée ». Certains m’ont dit « ça doit être facile de gérer avec un grade » et il s’avère que c’est difficile à expliquer à des civils, surtout les plus jeunes. Le fait que les choses paraissent assez tranchées dans l’armée peut aussi générer des inquiétudes sur la capacité à savoir parler aux équipes sans être trop brusque. Je peux comprendre que cela soit un élément qu’un recruteur ait en tête car j’ai pu voir d’anciens militaires directeurs d’exploitation, chefs de projet, responsables maintenance ou chef d’exploitation avec moins de rondeur. Il s’agit clairement d’axes de travail.
Néanmoins ce qui doit rassurer les recruteurs est qu’ils ont en face d’eux des personnes droites, qui ne sont pas là pour masquer ce qu’elles ne savent pas faire ou ce qu’elles ne sont pas. Les premiers retours que j’ai eu des anciens militaires que j’ai recrutés étaient que cela faisait plaisir qu’ils soient à l’heure, bien habillés et qu’ils s’exprimaient bien. Il n’y pas que les militaires qui ont ces qualités mais on est habitué à cela car à tout grade confondu, on a été habitué à s’adresser à nos chefs et c’est très important en entreprise.
Nous sommes bien plus proches de nos équipes que peuvent l’être la plupart des managers dans le privé.
Je pense que les recruteurs ne perçoivent pas que, sous couvert d’une hiérarchie très prégnante dans l’armée, nous sommes bien plus proches de nos équipes que peuvent l’être la plupart des managers dans le privé. Je ne peux pas concevoir de diriger une équipe, même de 200 personnes, sans connaître a minima les prénoms de chacun et je pense qu’il en est de même pour tous. Il est rare d’avoir de la reconnaissance dans les armées, comme dans le privé, mais j’ai eu des témoignages des équipes qui disaient « cela fait plaisir de vous voir sur la dalle ». C’est normal, je suis directeur des opérations et il faut bien que je voie comment les équipes travaillent et si tout se passe bien. Si la personne fait cette remarque c’est qu’elle a déjà vu d’autres personnes qui ne le faisaient pas or, c’est un comportement naturel pour un ancien militaire.
Evidemment les équipes dans le privé voient tourner les chefs comme dans l’armée. On disait souvent « un mauvais Commandant d’Unité dure deux ans, un bon Commandant d’Unité dure deux ans » : il en est de même en entreprise et les collaborateurs sont capables de voir la différence. Je pense que notre objectif, quel que soit le grade, est de marquer cette différence et de se dire que l’on a apporté sa pierre à l’édifice quand on s’en va.
Il est aussi important de ne pas s’enfermer dans la partie sécuritaire
Il est aussi important de ne pas s’enfermer dans la partie sécuritaire, que j’estime comme des perspectives « faciles » sans être péjoratif car j’ai moi-même passé, lors de mon MBA, des entretiens dans des entreprises comme International SOS. Il existe d’autres choses et l’on sait faire bien d’autres choses ! J’aurais d’ailleurs été en concurrence avec des anciens “forces spéciales” que je connais et qui je sais sont bien meilleurs que moi.
L’avantage de la logistique est que cela n’est pas encore courant mais il faut que cela le devienne car les militaires ont vraiment quelque chose à apporter. Cela dépend bien entendu de l’environnement mais l’avantage dans mon entreprise actuelle est que le fait d’avoir prouvé que cela pouvait marcher fait qu’aujourd’hui, quand je coopte un ancien militaire, personne ne va me dire « es-tu sûr ? » mais plutôt me dire « tiens je vais l’appeler et on va voir ». Il n’y a jamais eu de réticence à recruter des anciens militaires car cela fonctionne et qu’il y a en face des décideurs intelligents et ouverts.
Militaire d’active, vous initiez un projet de reconversion ?
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