Case study | 9 défis pour les jeunes managers en conseil : analogies avec l’expérience des jeunes officiers (partie 2/3)

L’équipe [Pépite.] a réfléchi au contact de spécialistes du consulting sur différents défis que rencontre cette catégorie de consultants lors de leur prise de fonction ainsi durant leur montée en puissance.

 

Pour ce travail, quelques métriques ont été prises en considération :

  • 30% des consultants en moyenne quittent leur employeur chaque année alors que le turnover moyen constaté en France est de 15%.
  • 50% des salariés démissionnent pour des raisons liées à leurs managers et le coût moyen d’un remplacement varie entre 30 000 à 150 000 €.

 

En miroir, les armées recrutent chaque année environ 25 000 nouvelles recrues dont la durée médiane de service est de 10 années. Bien que la notion d’engagement soit différente de celle présente au sein du monde de l’entreprise, l’institution militaire dispose de bonnes pratiques éprouvées qui peuvent être une source d’inspiration pour les cabinets de conseil et leurs jeunes managers.

 

Convaincu que beaucoup de jeunes managers rencontrent des challenges semblables quel que soit le cabinet, [Pépite.] a souhaité partager au sein d’un case study certaines best practices managériales militaires.

 

Défi n°4 :  considérer et féliciter

 

Difficultées constatées en cabinet de conseil

 

Une mission reconduite peut avoir pour un jeune consultant le goût de victoire car cela souligne la qualité de son travail et le fait qu’il ait su se rendre indispensable au projet. Cependant, une reconduction est souvent perçue comme normale dans le conseil (c’est plus l’inverse qui est inquiétant). Ainsi, les jeunes Managers peuvent arriver à en oublier de féliciter leur Junior/Senior dans ce type de situation. Cet écueil est d’autant plus critique qu’en fonction des tempéraments de chacun, certains consultants ont besoin à leur début de carrière de se sentir en confiance et de performer par la suite. L’extrême inverse existe aussi avec la formulation de félicitations démesurées pour saluer un travail conventionnel : pensant bien faire en promouvant un sentiment de satisfaction chez son Junior/Senior, le jeune Manager ne le pousse ainsi pas à aller au-delà du normal et ainsi progresser. Cela peut d’ailleurs donner une fausse image de performance et créer des frictions lors évaluations (cf. passages de grade).

 

Lorsqu’une proposition commerciale est présentée au Partner pour validation avant envoi au prospect/client et que ce dernier souligne la qualité du travail, les félicitations vont naturellement au Manager qui a leadé la production du document. Malheureusement, le jeune Manager peut ne pas penser ou vouloir mettre en avant le reste de l’équipe par rapport au travail fourni et ce, de manière inconsciente ou pour se mettre en avant lors des premiers mois durant lesquels il souhaite rassurer sa hiérarchie (ces félicitations sont importantes pour le Manager pour sa propre évaluation). Dans un système très pyramidal comme celui du conseil, il est agréable d’avoir les félicitations de son Manager mais un Junior/Senior attendra également des actions de la part des décideurs au niveau de la direction (ex. Partner).

 

Pour le traitement d’un sujet interne (élaboration d’une offre, gestion d’un groupe de travail, création d’une formation, etc.), un Manager cherche une ressource disponible pour l’appuyer. Dans ces situations, le problème souvent observé est que le jeune Manager fait toujours appel à la même personne ou aux deux mêmes Junior/Senior. Bien que le fait de solliciter le meilleur consultant ou celui avec lesquels les affinités professionnelles sont les plus fortes soit parfaitement humain, cela génère une perte de confiance des autres membres de l’équipe qui sont amenés à penser qu’ils sont moins bons et qu’un Manager ne leur donne pas l’opportunité de briller hors des missions sur lesquelles ils sont staffés : considérer une équipe/BU, c’est considérer l’ensemble.

Transposition de ces enjeux dans le monde des armées

 

Ordre général n°6097 “Le général … CITE À L’ORDRE DE L’ARMÉE la 3ème Compagnie du Régiment … pour avoir pris une part prépondérante dans la réussite de l’opération d’évacuation de ressortissants …”.

 

En ce matin de juin, le capitaine Clément reçoit des mains du Chef de Corps, après que lecture en était faite devant le régiment rassemblé pour l’occasion, d’une lettre de félicitations soulignant la satisfaction de l’Etat Major suite à une opération extérieure menée avec brio. Il n’y aura pas de remise de décoration individuelle aujourd’hui … car c’est avant tout l’engagement collectif des soldats de la 3ème compagnie qui est souligné et reconnu par l’institution. 

 

On entend souvent parler des décorations individuelles (elles sont d’ailleurs souvent visibles !), on connaît moins les récompenses collectives ! Elles sont pourtant essentielles : remises à l’occasion de cérémonies, devant l’ensemble des troupes, elles valorisent l’action collective et l’engagement de chacun. Elles donnent beaucoup de sens à l’action individuelle permettant de mesurer la reconnaissance de l’institution et la contribution à l’historique de son unité. Elles permettent donc de renforcer l’engagement personnel mais aussi l’efficacité collective : on travaille pour soi et pour les autres …  (pas de jalousie déplacée lorsqu’une unité est récompensée).

 

Enfin, elles constituent un facteur d’identification et d’intégration : les membres des unités décorées ont le droit d’arborer la fourragère afférente, même s’ils ne l’ont pas mérité personnellement. Ils rejoignent une famille et en sont dépositaires d’un héritage qui les oblige.

 

Si le monde militaire a bien compris l’importance de reconnaître l’action individuelle ou collective de manière formelle, il est également soucieux de reconnaître au quotidien l’action de chacun. Deux principaux leviers sont utilisés : la connaissance et la confiance. 

La première responsabilité d’un cadre dans les armées est en effet de bien connaître les personnes dont on lui a confié le commandement. Par delà les entretiens formels, les messages de remerciement, il s’agit pour le chef militaire de consacrer du temps à chacun … de préférence en situation (il est fréquent pour un officier d’échanger avec un jeune engagé de permanence.). De même, il est de bon ton dans les armées de remercier une personne qui a bien servi en dehors de son unité de rattachement en lui adressant un simple message, duquel le supérieur de l’intéressé sera également destinataire (en Cc). C’est une manière discrète de témoigner de la satisfaction tout en valorisant. Certaines entreprises ont automatisé ce système (des entreprises américaines de vente en ligne par exemple)

Faire confiance est le deuxième volet de la reconnaissance. Parce que l’on a développé une connaissance “intime” de ses collaborateurs,   on peut les mettre en situation, leur donner des responsabilités en confiance … les reconnaître.

Défi n°5 :  recadrer un consultant

Difficultées constatées en cabinet de conseil

 

Le recadrage est finalement un message à faire passer, mais il est sans doute le plus critique car il touche à la sensibilité de chacun. Le mécontentement d’un client induit généralement une redescente en cascade par tous les grades : Partner, Manager et Senior/Junior (des grades intermédiaires de Principal ou Associate peuvent intervenir selon la dimension de la mission). Sous pression et encore inexpérimenté en matière d’encadrement, un jeune Manager peut en arriver à recadrer un Consultant de son équipe de la même manière que leur Directeur le ferait. Après plusieurs années dans le conseil, un jeune Manager sera naturellement plus aguerri que ses consultants Junior/Senior. Bien que cela puisse paraître évident, les consultants Junior/Senior ont besoin de recevoir des messages adaptés sur le fond et sur la forme car ils ne peuvent pas autant encaisser que des profils expérimentés..

 

Au-delà de la séniorité, des jeunes Managers peuvent agir de la même manière avec des Consultants du même grade or naturellement, tout le monde n’est pas fait du même bois. Certains Seniors (souvent les plus « business ») nécessiteront de « taper fort » tandis qu’il faudra pour d’autres (souvent les plus « analytiques”) demanderont plus de psychologie/pédagogie. Plus globalement, le risque auquel fait face un jeune Manager est celui de ne pas loger les Consultants à la même enseigne. Un jeune Manager pourra se retrouver sur une mission aux côtés d’un Junior avec lequel il a sympathisé au dernier séminaire et un Senior parfaitement inconnu. à erreur égale (et même lorsque le Senior est plus expérimenté), le degré de recadrage est totalement inégal et le Manager pourra tenir rigueur jusqu’à la fin de la mission voire bien après sur d’autres projets !

 

Enfin, le manque d’expérience du jeune Manager l’expose au risque que le recadrage se transforme plus en réprimande où il peut se contenter d’envoyer un missile à son Consultant et s’arrêter là. Des Managers s’étonnent parfois de reprendre plusieurs fois un consultant sur plusieurs propositions commerciales différentes mais en creusant le seul retour était “mais ce n’est pas comme ça que l’on doit articuler cette partie-là”. Le premier rôle du Manager est d’éviter que le problème se reproduise avec ce client et globalement sur toutes les missions que réalisera le Consultant au sein du cabinet. Le jeune Manager a donc comme challenge de faire progresser son consultants en identifiant les éléments à travailler*, tout en lui faisant comprendre que le Consultant est fautif et qu’il mérite le recadrage car l’erreur a des impacts business (ex. vente d’une prochaine mission, pénalités financières, reconduction d’un contrat-cadre, etc.).

 

Transposition de ces enjeux dans le monde des armées

 

“Le droit à l’erreur”

 

Camp d’entraînement de Caylus,  la 2ème compagnie du Régiment est rassemblée. L’exercice de synthèse des deux semaines de MIse en Condition Opérationnelle (MECO) avant projection en opération vient de se terminer. La fatigue se voit sur les visages … mais il faudra attendre pour se reposer car il faut maintenant débriefer, analyser et tirer les enseignements. 

 

Le lieutenant Arthur, chef de la 3ème section, est inquiet  … En effet, l’exercice de synthèse  ne s’est pas  aussi bien passé qu’il l’espérait : alors que sa section avait reçu pour mission de détruire par embuscade une colonne ennemie,  le lieutenant Arthur a décidé de n’engager qu’un partie de son effectif de façon non conventionnelle pour … aller plus vite, contrevenant ainsi aux ordres et au règlement. Mais la manœuvre “baroque” a échoué, faisant courir des risques au reste du dispositif mis en place.

 

Arthur sait qu’il va devoir participer à plusieurs débriefings : au niveau de la compagnie avec son commandant d’unité, le capitaine Clément et en interne avec sa section. Le débriefing de la compagnie commence avec une intervention du capitaine Clément, commandant d’unité. Il commence par rappeler le sens du débriefing  et l’attitude à avoir : ne rien garder pour soi car l’objectif de progresser, individuellement et collectivement.

 

Le débriefing se passe, dans le calme, et c’est l’occasion pour tous les cadres présents de présenter leur manœuvre, les difficultés rencontrées, les choix opérés, les motifs de satisfaction et les points d’amélioration. Le lieutenant Arthur est rassuré : il s’attendait à être réprimandé par sa hiérarchie et critiqué par ses pairs …

 

Deux jours plus tard … La compagnie est rentrée au quartier et le capitaine Clément vient voir Arthur dans son bureau et lui dit qu’il souhaite parler de ce qu’il s’est passé lors de l’exercice de synthèse. Après avoir exposé sa vision des faits, il laisse la parole à Arthur en lui proposant d’expliquer ses choix.  Il l’écoute avec attention puis lui demande ce qu’il ferait s’il se trouvait à nouveau dans la même situation …En laissant Arthur reformuler, le capitaine Clément s’assure que l’événement a permis à Arthur de progresser. Il peut lui renouveler sa confiance.

 

On imagine assez volontiers des recadrages directs et véhéments dans les armées. Il y a pourtant longtemps qu’ils n’ont plus court et ont été remplacés par la culture du débriefing (on parle aussi de RETEX, pour Retour d’Expérience), car ce qui compte avant toute chose, c’est que l’action collective soit pertinente et efficace. Cela n’interdit toutefois pas d’avoir à recadrer … mais cela s’effectue avec lucidité en ayant le souci de faire progresser, individuellement et collectivement.

 

 

 

Défi n°6 :  gérer le travail à distance

 

.Difficultées constatées en cabinet de conseil

 

Le télétravail est un contexte difficile à appréhender pour un jeune Manager, en particulier lorsque ses consultants Junior/Senior ne sont pas staffés sur des missions. Ceux ayant un biais « control freak » peuvent penser qu’un consultant sur le bench et en télétravail en profitera pour moins respecter le rythme voire en pour se “mettre au vert” et ce, même s’il est staffé sur un projet interne. En effet, malgré des deadlines, les travaux internes bénéficient d’une certaine flexibilité par rapport aux missions ( “Comme ce travail n’est pas facturé, c’est moins grave”). 

Le développement du télétravail a généré de nouvelles méthodes de travail, de suivi et de contrôle… Bien que beaucoup de Managers soient conscients de cela, nombreux sont ceux qui considèrent que le télétravail va favoriser une baisse de professionnalisme et d’investissement. Malheureusement,  cette méfiance se fait souvent fortement ressentir au niveau des équipes qui se trouvent confronté au micro-management voire à un suivi anxiogène et irritant des projets au travers de mails, hangouts, calls deux fois par jour pour vérifier l’avancement, etc. 

Une expérience au sein d’un cabinet de conseil développe chez les jeunes actifs un fort sens de l’autonomie, avec des écueils parfois. En parallèle de leur mission, les jeunes managers sont souvent staffés pour piloter des travaux internes tels que la création de formations internes à destination des jeunes recrues (ex. le transport ferroviaire pour les profanes). Pour élaborer le contenu de cette formation, le Manager s’appuie sur des Juniors/Seniors ayant déjà travaillé  sur le sujet abordé. Ses consultants connaissant le sujet/secteur, le jeune Manager donne des consignes pour ensuite les laisser gérer en autonomie le dossier.. C’est alors que le Manager se réveille à deux jours de l’arrivée d’une nouvelle promotion de stagiaires/jeunes diplômés dans la BU et qu’il constate que l’équipe est loin d’être arrivée au résultat escompté faute d’avoir été challengée sur l’avancement. Ce phénomène est exacerbé avec le télétravail : être au siège permettait de s’informer au détour d’un couloir, alors que le  télétravail demande d’être proactif. La confiance n’exclut malheureusement pas le contrôle et un manque de suivi entraîne naturellement pour le jeune Manager des nocturnes, un retard sur la date de delivery voire une qualité de l’exécution moindre.


Le passage au de grade au Manager, peut s’apparenter à l’arrivée en école après deux ou trois années en classe préparatoire. Les jeunes Managers, ayant franchi cette réelle épreuve, s’autorisent parfois une certaine flexibilité sur les horaires. (Par exemple, les jours sans réunion interne ou avec le client, un Manager pourra s’absenter pendant les heures de bureau et rattraper le soir). Le conseil nécessitant beaucoup d’interactions entre les équipes, combien de juniors ont pu recevoir un appel à 22h de leur manager qui avait besoin d’une information pour avancer ? Le dilemme étant alors « décrocher et prendre le risque de gâcher sa soirée et devant rentrer travailler » ou « s’exposer à des reproches a posteriori si l’on ne décroche pas ». Un jeune Manager appliquant sa propre manière de faire à son équipe met automatiquement une pression exacerbée sur Junior/Sénior et vient perturber leur organisation car ils travaillent au profit de plusieurs managers sur plusieurs sujets (missions, proposition commerciales, offres, groupes de travail…), ce qui démultiplie le problème.

 

 

Transposition de ces enjeux dans le monde des armées

 

“Ce n’est pas la distance qui mesure l’éloignement”

Antoine de Saint Exupery  

 

Octobre … le lieutenant de vaisseau Clément, commandant du commando Jaubert, vient d’être désigné comme chef du détachement des commandos marine pour participer à une opération en Afghanistan. Il sera déployé dans deux jours avec seulement cinq personnes de “Jaubert”. Il laissera donc derrière lui 75 commandos et en confiera la responsabilité au commandant en second.

 

Pendant les deux jours qui lui reste avant d’être déployé, Clément va préparer non seulement la mission qui lui est confiée mais aussi son unité à fonctionner avec un commandant “distant” car, bien qu’engagé sur un théâtre d’opérations, il conservera “son” commandement, avec les prérogatives et les devoirs associés. 

 

Dans un premier temps, Clément rédige des directives claires dans lesquelles, il rappelle les échéances principales pour les semaines à venir,  il définit les objectifs d’entraînement pour cette période et il adapte les délégations accordées au commandant en second de façon à ce que celui-ci dispose de la légitimité nécessaire pour agir. Puis, il passe en revue les instructions et ordres permanents, documents de référence qui encadrent les activités du commandant. Enfin, il établit un mode de fonctionnement à distance avec ceux qui restent, notamment la fréquence et la nature des échanges. Ce travail préparatoire garantira un fonctionnement harmonieux, respectueux des rythmes et des contraintes de chacun (lorsqu’on délègue, il faut s’interdire le micromanagement).

   

Il lui reste maintenant à faire savoir à ses interlocuteurs “habituels” (et habilités) l’organisation de circonstance du commando.

 

Commander malgré l’éloignement existe depuis longtemps (toujours !) au sein des forces armées (c’est d’ailleurs encore plus vrai dans la Marine !) avant même le développement des moyens de communication modernes (…et du télétravail …). Il y a donc là des savoirs faire et des savoir être très précieux pour les managers.

 

Deux éléments majeurs sont à retenir :

  • Les directives doivent être claires et sans ambiguïté : celui qui reçoit la mission a une parfaite compréhension de la liberté d’action qui lui est accordée mais aussi des limites associées ; celui qui donne la mission s’assure que la mission est bien comprise (back-brief).
  • Le contact doit être maintenu avec ses subordonnés : il faut provoquer des points de rencontre (en s’adaptant aux moyens disponibles : visio, radio voire écrit) pour présenter même sommairement le travail effectué de manière positive.