Xavier, Responsable RH : Retour d’expérience sur le recrutement d’anciens militaires

[Xavier, Responsable RH] Retour d’expérience sur le recrutement d’anciens militaires

Quel est ton parcours professionnel ?

Après avoir passé toute ma scolarité en Guadeloupe, je suis parti à Toulouse pour intégrer un IUP « juriste d’entreprise et management des ressources humaines ». Après avoir repoussé l’échéance pour ne pas bousculer mon cursus universitaire, je suis parti faire mon service militaire en 2000 en tant qu’Élève Officier de Réserve dans les ressources humaines et plus précisément au sein du centre interarmées de reconversion situé à Marseille.

Bien que la caserne du Muy n’était pas forcément glamour, je garde d’excellents souvenirs de cette première expérience professionnelle qui m’a permis de toucher des aspects fondamentaux des RH : le recrutement ainsi que le développement personnel et des compétences. J’étais chargé de trouver des propositions de postes, de m’assurer qu’ils puissent convenir aux aspirations des militaires et ensuite de coacher les candidats. J’ai apprécié plus particulièrement la partie accompagnement ; car cela demandait une véritable pédagogie.

Il était extrêmement compliqué pour un jeune comme moi de se retrouver face à des personnes de 40-45 ans qui cherchent un poste dans le civil. Avec le recul, c’était comme si j’accompagnais un étudiant sortant de l’université, et il n’y a rien de péjoratif là-dedans. En se mettant à leur place, on comprend qu’il s’agit d’un changement total d’univers et d’environnement., ce qui explique des questionnements similaires à une personne terminant ses études : comment vais-je être accueilli et intégré ? quels seront les horaires et le rythme de travail ? va-t-on me demander d’être mobile ? vais-je être bien payé ? quelle est l’organisation ? etc…

Après mon service militaire, j’ai intégré le Club Méditerranée, ce qui m’a fait beaucoup bouger géographiquement (Martinique, Maroc, Vosges, Corse ou encore Sicile) mais aussi en matière d’évolution de poste : assistant ressources humaines, gestionnaire du personnel, gestionnaire des ressources humaines, responsable des ressources humaines en site et en multisites. Après dix années, j’ai eu l’opportunité d’intégrer un projet de création d’entreprise en Belgique et au Luxembourg, puis le groupe international Elior et enfin Areas (restauration de concessions).

Quelles sont tes responsabilités et les enjeux sur lesquels tu interviens au quotidien ?

En tant que Responsable Ressources Humaines multi-sites, je supervise le management des Assistantes RH ainsi que l’accompagnement des opérationnels pour 6 sites en France (employant en tout 700 personnes en CDI). Je conseille les directeurs de chacun des sites sur des enjeux comme les relations sociales (ex. négociation des accords, animation des CSE, etc.) ainsi que sur les parties juridiques et disciplinaires. J’interviens aussi sur les sujets de formation et de développement RH.

C’est un poste généraliste mais surtout opérationnel car l’univers de la restauration de concession est très varié du fait de la multitude de postes sur chacun des sites, avec différents types de restauration (service à table, restauration rapide, retail, etc.). Il s’agit d’une fonction que je trouve très enrichissante et sur laquelle j’ai d’ailleurs été amené à recruter des anciens militaires.

Sur quel type de poste as-tu recruté d’anciens militaires ?

J’ai pu recruter des anciens militaires sur tout type de poste d’employés (cuisinier, serveur, livreur, etc.) ainsi que sur des postes avec plus de responsabilités et des fonctions de management (agents de maîtrise et cadres). J’apprécie ce type de profil et surtout, j’ai la conviction que, même si le recrutement n’est pas une science exacte, le recrutement sur les soft skills est très efficace.

Bien entendu, il y a certains postes comme les chefs de cuisine sur lesquels il est aussi indispensable d’avoir une expérience au préalable, mais le fait de pouvoir m’appuyer sur un socle de valeurs véhiculé à l’armée tels que l’honnêteté, la transparence, le respect de la hiérarchie, la flexibilité ou encore l’adaptabilité me met en confiance en tant que recruteur. Le travail de l’entreprise recruteuse est ensuite d’accompagner le personnel et lui donner les moyens d’acquérir certaines compétences techniques pour se sentir à l’aise sur son poste.

Comment se sont passés les process de recrutement avec ces anciens militaires ?

Je ne m’attarde pas forcément à la construction et au contenu d’un CV car si un ancien militaire m’a été recommandé par Défense Mobilité (cela se passe souvent ainsi), j’estime qu’il s’agit d’un bon candidat et qu’il y a matière à le recevoir en entretien. Afin de faciliter l’échange, je tâche de mettre à l’aise le candidat dès le début de l’entretien en parlant de mon expérience à Marseille puis, je le fais parler de ses expériences afin de comprendre les aptitudes et compétences qu’il a développé à l’armée et qui sont transposables au sein de l’entreprise.

Que ce soit un grenadier ou un chasseur alpin, un ancien militaire a beaucoup de compétences à mettre en avant. Dans ce contexte, l’utilisation de la méthode STAR (situation, tâche, action et résultat) permet d’aider le candidat à aborder avec plus de lisibilité ce qu’il a pu développer lorsqu’il a dû fait preuve de persévérance, de remise en question, d’humilité, de sens de l’organisation ou encore de capacité à travailler en équipe.

Je regardais ensuite si ces différentes compétences matchaient avec la fiche de poste. Les hard skills techniques sont bien évidemment aussi prises en compte sur des postes techniques de management mais de manière générale, je n’ai pas besoin d’avoir une expérience probante sur un poste similaire car on peut finalement réussir à transposer dans le civil les compétences acquises à l’armée. L’exercice n’est certes pas simple mais, cela permet de trouver d’excellents candidats qui arrivent très bien à s’adapter au monde de l’entreprise.

Lorsque je faisais le parallèle avec un jeune universitaire qui rejoint le marché de l’emploi, c’est uniquement dans le sens où les appréhensions sont similaires. Il faut noter que les attentes sont quant à elles toutes autres. Ne serait-ce que par la situation familiale, les aspects d’équilibre entre vie perso et vie professionnelle, de qualité de vie au travail et les enjeux financiers ne sont pas à négligées.

Comment s’est passée la phase d’intégration de ces nouveaux collaborateurs ?

Il s’agit du passage le plus délicat pour les personnes qui quittent l’armée car après l’euphorie de la promesse d’embauche, arrivent beaucoup d’inconnues comme l’organisation du travail, l’environnement du poste, l’organisation familiale, etc. Il s’agit de la première confrontation avec le secteur privé et cela demande de fait un temps d’adaptation.

Dans ce contexte, il est indispensable de se montrer disponible car le nouveau collaborateur peut avoir besoin d’exprimer le fait que certaines choses ne lui paraissent pas normales par rapport à l’environnement qu’il a connu dans les armées. Il est ainsi nécessaire de favoriser le dialogue pour aider l’employé à comprendre par exemple pourquoi les consignes ne sont pas appliquées à la lettre, à adapter sa communication voire sa méthode de management car ce n’est pas quelque chose d’inné. Il faut ne pas trop juger les premiers mois et laisser le temps de s’approprier ce contexte différent et d’en prendre conscience.

J’avais par exemple recruté un chef de cuisine qui avait mis dans son bureau une affiche « ici on frappe avant d’entrer ». Cela peut faire sourire mais cela pouvait laisser sentir à une certaine l’irritabilité par rapport à des manières qui ne sont pas les mêmes. Bien qu’ils soient extrêmement compétents, il faut parfois accompagner certains anciens militaires pour comprendre cette nouvelle organisation avec des personnels très hétérogènes dont l’âge oscille de 18 à 65 ans.

Cette personne m’a avouée trois ans après que le plus compliqué était de gérer le personnel car chaque personne est un cas particulier. Lui aussi était un cas particulier à son arrivée et de la même manière qu’on lui a porté de l’attention, il devait lui aussi porter une attention spéciale à chacun de ses collaborateurs. La notion d’individualisation des relations, qui ne sont pas aussi collectives que dans les armées, est un sujet qui demande du temps.

Quelles facilités ont pu avoir ces anciens militaires dans leur intégration et dans leur montée en compétences ?

La volonté de vouloir bien faire est très marquée : les anciens militaires que j’ai recruté souhaitaient prouver qu’ils peuvent s’adapter rapidement et se sont donné corps et âme dans ce nouveau métier, gommant ainsi toute forme d’appréhension. Les soft skills en matière d’engagement, d’honnêteté et de discours de vérité sont des éléments générateurs de confiance, il ne faut donc pas brusquer ou enfermer cette volonté.

J’ai l’exemple d’un collaborateur qui, malgré le fait de ne pas être à l’aise dans l’utilisation d’un Pad pour prendre les commandes, a pu monter en échelon et rapidement passer chef d’équipe. Il continue à travailler sur un support papier mais ce n’est pas grave car, je sais que lorsque je vais arriver au service, l’équipe va être propre avec une tenue soignée, chacun saura quelles sont ses consignes, qu’elles seront respectées et que le service va très bien se passer. Il y a un côté rassurant car qu’il vente ou qu’il neige, ce collaborateur sera présent et je sais qu’il va encadrer ses équipes de la meilleure des manières.

Au même titre que le service militaire avait pour force de donner un cadre aux jeunes, ce collaborateur transmet des valeurs simples mais qui font une grande différence en entreprise, ne serait-ce que dire « Monsieur » lorsque l’on s’adresse à un client. Je sais aussi que, tous les jours, le briefing avant-service et le débriefing après-service vont être fait et qu’il va améliorer tout ce qui n’a pas bien marché. Le temps pour prendre ses marques dépend bien entendu de la personne mais dès le moment où la transposition est faite et que toutes les appréhensions sont gommées, cela va très vite !

Quels seraient les points de vigilance que doit identifier un manager lorsqu’il intègre un militaire dans son organisation ?

Si le manager est plus jeune que lui, il devra avoir la maturité nécessaire pour se mettre à sa place et cela va nécessiter beaucoup de recul de sa part. Après cela, il me semble important qu’il n’y ait pas de distinction et que le manager soit aussi explicite et montre le même respect qu’avec n’importe quel salarié. Le manager devra montrer qu’il connaît son métier, qu’il lui montre sa valeur et être efficace sur le plan pédagogique et de la communication car la nouvelle recrue pourra lui dire très franchement si cela n’est pas le cas !

S’il ne lui donne pas les bonnes informations, une discussion va s’enclencher assez rapidement et on va peut-être avoir la situation inverse où c’est le nouveau collaborateur qui va prendre le lead. Et c’est à ce moment que cela peut devenir compliqué ! J’ai eu des exemples sur lesquels l’intégration ne s’est pas bien passée et une des raisons était que le manager ne véhiculait pas de valeurs exemplaires et cela a vite clashé. A l’inverse cela se passe toujours extrêmement bien lorsqu’un manager (que ce soit une femme, un homme, une personne plus jeune ou plus âgée) est exemplaire et qu’il donne d’entrée les bonnes consignes.

J’ai aussi connu un échec avec un collaborateur qui estimait que l’organisation n’était pas assez cadrée pour lui, ce qui faisait qu’il ne se sentait pas à l’aise. Nous en avons discuté et je lui ai alors dit « je comprends, fais ton expérience dans d’autres entreprises et une fois que tu l’auras faite, tu as mon numéro de téléphone, je reste à ton écoute et je suis prêt à te reprendre par la suite ». Il lui était nécessaire de faire sa propre expérience ailleurs pour découvrir le monde de l’entreprise, les différentes cultures et organisations, comme par exemple le fait d’être managé par une femme car cela peut être complexe à appréhender.

Ce collaborateur m’a rappelé trois ans après et je l’ai repris. Lors de l’entretien, il m’a avoué qu’il n’était pas prêt psychologiquement et que l’environnement était trop grand et complexe à assimiler. Le fait de se retrouver comme salarié lambda parmi 250 peut être brutal. Il avait eu une expérience dans une maison de retraite où il a travaillé avec des personnes handicapées et du personnel féminin : cela lui a ouvert l’esprit. Cette prise de conscience et ce recul ont fait que j’ai senti qu’il était à présent prêt, ce qui m’a motivé à lui donner une deuxième chance.

Qu’est-ce qu’un militaire a pu apporter dans de tels métiers opérationnels ?

Un militaire apporte déjà son enthousiasme et sa volonté, et ce n’est pas neutre ! Si je dois le laisser seul faire 600 couverts (ce n’est bien évidemment pas notre volonté première), il en sera capable et ne va pas rechigner à la tâche. Si l’organisation et la répartition des tâches sont claires pour lui, il va se fondre dans le moule à vitesse grand V. Il faut capitaliser sur ses points positifs car le plus rapidement il va se sentir à l’aise, le plus rapidement il sera intégré.

Ce qui est compliqué à assimilé pour un militaire qui intègre le monde du travail est qu’il est un salarié comme tous les autres, on ne va donc pas passer plus de temps avec lui et c’est normal. Après, lorsqu’un recruteur a une sensibilité vis-à-vis des militaires ou qu’il a fait l’armée, cela devient beaucoup plus simple pour désamorcer des situations car il faut aller les chercher pour qu’ils se confient ! Il y a une forme de pudeur car l’envie de prouver que la période de transition peut être la plus courte possible génère de fait de la crainte et une appréhension légitime.

Je donne souvent l’exemple de l’informatique, où certains militaires n’ont pas eu à travailler sur un ordinateur dans leur précédente carrière (c’est beaucoup moins le cas à présent avec les nouvelles technologies) et avaient honte lorsqu’il s’agissait de taper un email avec un style particulier d’écriture et un message à faire passer avec les formes. Il y a aussi des situations nouvelles comme le fait d’avoir un employé syndiqué dans son équipe, avec lequel il peut ne pas être de comprendre qu’il a des heures de délégation et qu’il peut faire un tour des services pour discuter avec des salariés alors que l’on a besoin de tout le monde lorsque c’est le rush.

Si tu avais un message à donner à tes homologues RH par rapport à ce type de talents, lequel serait-il ?

Je leur dirai de faire un pas vers l’armée car les militaires ont beaucoup de choses à nous apprendre et leurs compétences se transposent énormément dans le monde de l’entreprise. Les parallèles étant nombreux, je ne peux que les pousser à foncer, mais sans avoir uniquement à l’esprit le fait d’aller chercher des personnels qui savent délivrer.

Je les inviterai aussi à faire preuve de la pédagogie nécessaire pour comprendre l’environnement des anciens militaires et favoriser leur intégration de manière à ce que leur développement se fasse le plus naturellement possible. Ce sont des collaborateurs très fidèles, miser sur le relationnel et la communication dans les premiers jours et le retour sur investissement sera là !

Le sujet des conjoints des militaires est aussi important. Ces profils recherchent souvent des emplois à temps plein ou à temps partiel mais de la même manière que les militaires en reconversion, certains n’osent pas postuler, pensant ne pas avoir le niveau requis. Ils ont pourtant des soft skills très intéressantes et peuvent avec cela faire beaucoup de métiers puis gravir les échelons. J’ai l’exemple d’une chef de cuisine qui est devenue responsable de production.

Côté recruteur, il ne faut surtout pas avoir d’a priori, ne pas se figer sur le CV et aller chercher ce qu’il y a derrière. Pour ce qui est des postulants, c’est souvent juste une question de confiance. Que l’on ait été grenadier ou femme au foyer, il n’y a pas à rougir de quoi que ce soit mais surtout être fier de ce que l’on a fait !

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