Sabrina, Responsable RH : Retour d’expérience sur le recrutement d’anciens militaires
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Quel est votre parcours professionnel ?
J’ai commencé mes études par une licence de psychologie puis par une licence professionnelle en ressources humaines. J’ai par la suite débuté ma carrière en tant que responsable recrutement au sein d’une société d’intérim puis je suis parti au Luxembourg pour m’orienter vers une activité de consulting en ressources humaines où j’œuvrais tant dans l’accompagnement RH que dans le recrutement de profils cadres et non-cadres. Mon ami ayant été muté, j’ai dû pour le suivre quitter ma carrière professionnelle là-bas, ce qui fût d’ailleurs assez compliqué.
Mon arrivée à Pau n’a pas été simple car la région est parfois “hostile” aux non-natifs mais ayant fait de la réserve depuis mes 18 ans, j’ai pu facilement intégrer le GSBdD (groupement de soutien de base de Défense). Cela m’a donné l’opportunité d’officier pendant presque deux ans en qualité de réserviste dans les ressources humaines. Suite à cela, j’ai trouvé un poste de responsable RH au sein d’une PME dans le secteur aéronautique, sur lequel je suis resté trois ans. J’ai quitté mon poste en septembre dernier pour démarrer en tant que Responsable RH dans le secteur de l’hôtellerie-restauration.
Mon objectif est de savoir dans quel état d’esprit se trouve une personne lorsqu’elle travaille
J’ai toujours été très intéressée par la psychologie, et plus particulièrement par la psychologie au niveau du travail. Au-delà du fait que quelqu’un soit dans une entreprise et réalise ses tâches professionnelles, mon objectif est de savoir dans quel état d’esprit se trouve une personne lorsqu’elle travaille, comment on peut faire pour qu’une entreprise puisse mieux fonctionner à travers les aspects psychologiques et sociaux. Pour ne rien vous cacher, mon souhait était de faire ce métier dans l’armée sur une partie « développement de carrière » mais, ayant rencontré mon mari qui était déjà dans les armées, j’ai fait le choix de lui laisser sa carrière à lui, plutôt que la mienne.
Pourriez-vous me parler de votre entreprise ?
Il s’agit du palace « Les Prés d’Eugénie » situé non loin de Mont-de-Marsan dans les Landes. Maison appartenant à la famille Guérard (dirigeants de la Chaîne Thermale du Soleil), ce resort a la particularité de disposer d’une partie thermale. Au-delà du cadre de travail très agréable, ce qui m’a séduit dans ce poste est le côté très humain de cette entreprise que j’ai ressenti dès le moment où j’ai rencontré Adeline Guérard (une des directrices de l’entreprise). Dans les faits, la direction ne voit pas les salariés comme un numéro ou un nom sur un organigramme, et cela est extrêmement important pour moi. Pour exemple, bien que nous puissions monter à 300 employés en période de forte activité, la direction fait en sorte de connaître le nom de chaque salarié et le service dans lequel il évolue, tout en sachant qu’ils gèrent aussi depuis Paris La Chaîne Thermale du Soleil (20 établissements).
Le caractère psychologique et le climat social que l’on peut réussir à développer est donc fondamental pour réussir à fidéliser ces salariés temporaires.
Nous employons 120 salariés permanents en CDI qui œuvrent surtout sur des fonctions supports (patrimoine, entretien, etc.) et des emplois saisonniers (contrats de neuf mois principalement) sur la partie « hôtellerie et restauration ». Le caractère saisonnier de notre activité implique un côté fluctuant des salariés : il ne s’agit pas d’une entreprise classique où une personne recrutée va rester pendant un, deux, trois ou quatre ans. La difficulté de l’activité saisonnière est de recruter des personnes qui savent qu’elles vont rester sur un temps limité mais d’arriver à les fidéliser pour qu’elles reviennent sur les saisons suivantes. Le caractère psychologique et le climat social que l’on peut réussir à développer est donc fondamental pour réussir à fidéliser ces salariés temporaires.
Quels sont vos liens avec le monde des armées ?
Je suis mariée à un militaire depuis dix ans, ma mère a fait carrière dans l’armée et je suis réserviste depuis mes 18 ans. Il va de soi que tout n’est pas parfait dans l’armée mais c’est pour moi une chose importante car cette institution véhicule des valeurs extrêmement importantes.
Lorsque j’ai débuté mon poste de Responsable RH au sein de cette PME dans le secteur aéronautique, j’ai de suite pris contact avec avec le pôle en charge de la mobilité des militaires pour activer ce potentiel de recrutement et d’une certaine manière, pour apporter ma pierre à l’édifice dans le lien armée-nation et la reconversion militaire. Cela a fonctionné car nous avons recruté deux anciens militaires.
Sur quel type de poste avez-vous recruté des anciens militaires ?
J’ai d’une part recruté un ancien adjoint au chef de peloton automobile sur un poste de technicien de production et d’autre part, un ancien pilote en tant que directeur d’usine. Il s’agissait pour ces deux personnes de leur première expérience en entreprise.
De par son passé, l’ex-pilote ne cochait pas les cases d’une fiche de poste « traditionnelle » de directeur, or nous nous sommes beaucoup plus basés sur le savoir-être. Il avait été chef de bord et commandant d’unité, le management était donc assez inné pour lui. Ce qui était important est que l’on n’avait pas besoin d’un grand technicien pour diriger l’usine mais surtout d’une personne capable d’apporter un encadrement et de la méthode pour remettre à plat des bases d’organisation. Tout cela découlant du savoir-être qu’un manager peut avoir dans les armées, cela a été un match complet !
Comment s’était passé le process de recrutement ?
Cette personne a passé des entretiens parfaitement similaires à ceux que ses “concurrents civils” ont pu passer, le savoir-être a su faire la différence. Les collaborateurs et managers ont en majorité compris que les activités pouvaient finalement être transposables d’un monde à l’autre, bien qu’il y ait toujours des personnes réticentes qui restent parfois avec le stéréotype du militaire « bébête » à qui l’on dit « prends ton fusil et va faire la guerre ». Il faut passer au-delà de ça et l’important pour moi était d’avoir convaincu le chef d’entreprise avec qui je travaillais à l’époque. L’expérience positive de l’ancien militaire recruté en qualité de technicien de production lui avait permis de constater un savoir-être hors du commun, comparé à celui de certains jeunes qu’il pouvait y avoir dans les mêmes équipes de production.
J’ai eu l’occasion d’échanger avec plusieurs responsables RH et il est parfois compliqué de faire comprendre que les compétences, même si elles ne sont pas sur des postes similaires, peuvent être transférables dans un métier dans le secteur privé. Si l’on prend la peine de regarder au-delà du savoir-faire, il y a un savoir-être qui est autant voire bien plus important.
Pour en avoir vu en entretien, les « j’aimerais bien faire ça » ou les « peut-être que… » rendent toute projection impossible pour un recruteur
Je tiens à souligner qu’il faut que le projet du militaire qui quitte l’armée ou qui a quitté l’armée soit bien défini. Pour en avoir vu en entretien, les « j’aimerais bien faire ça » ou les « peut-être que… » rendent toute projection impossible pour un recruteur. Il y a un fossé tellement énorme entre l’armée et le milieu civil, que si la personne arrive en n’ayant pas un projet clair en tête, il va être extrêmement compliqué pour le recruteur d’aller convaincre. Les profils issus des armées que nous avions pu avoir avaient réfléchi à leur parcours, savaient ce qu’ils voulaient et avaient une vision renseignée du métier dans lequel ils voulaient aller (même si cela peut parfois être utopique voire féerique quand on n’a pas vécu le monde de l’entreprise).
De quelle manière avez-vous fonctionné pour l’intégration de ces profils ?
Il est sûr et certain qu’il faut un parcours d’intégration car faire arriver un ancien militaire dans une entreprise civile sans accompagnement peut être complètement voué à l’échec. Il faut dire les choses, il y a dans l’armée un suivi de carrière qui est très prononcé avec des entretiens annuels de notation ainsi que des chefs d’équipe et des Commandants D’Unité dont l’encadrement est très présent. Malgré l’instauration des bilans annuels en entreprise (lorsqu’ils sont faits et que le cadre de la formalité administrative est dépassé), l’encadrement est généralement bien moins marqué en entreprise.
Il y a donc besoin d’accompagner dès le départ ces recrues issues des armées en leur expliquant ce qu’on attend d’elles, en fixant des objectifs et en les suivant de façon mensuelle a minima
Il y a donc besoin d’accompagner dès le départ ces recrues issues des armées en leur expliquant ce qu’on attend d’elles, en fixant des objectifs et en les suivant de façon mensuelle a minima. Pour ce qui est de la personne que l’on avait recruté comme technicien de production, nous avions créé un livret de suivi de carrière qui a ensuite été utilisé pour toutes les nouvelles recrues de l’entreprise. Nous avions aussi mis en place un tuteur le suivant au début une fois par semaine, puis une fois tous les quinze jours et enfin une fois par mois afin de savoir où il en était et quelles étaient ses difficultés en termes d’acclimatation.
Quelles sont selon vous les précautions à prendre par rapport à l’intégration d’un ancien militaire ?
La première chose à intégrer est qu’il ne s’agit pas de quelqu’un qui vient d’une autre entreprise, et qui a vécu dans un cadre totalement différent au sein des armées. En fonction du profil militaire recruté, il y a aussi un passif de missions et donc une approche du milieu du travail qui peut être différente. Une personne qui s’engage dans l’armée avec des convictions ne va pas s’engager dans en entreprise avec les mêmes convictions. Le second élément est qu’un un salarié ancien militaire peut apporter énormément de choses et qu’il faut donc être à l’écoute de ces personnels car ils peuvent mettre à profit des bonnes pratiques qu’ils ont vu, appris et mis en place au sein de l’armée et qui peuvent être redoutables en entreprise.
Au-delà d’accompagner l’ancien militaire, il faut aussi accompagner son manager
Il va de soi que l’intégration va être beaucoup plus simple lorsque le manager est ouvert à cette expérience. Au-delà d’accompagner l’ancien militaire, il faut aussi accompagner son manager, et le responsable RH y a un rôle prépondérant à jouer. Le manager direct du technicien de production recruté se fichait de son passé militaire et voulait juste avoir quelqu’un en mesure de faire sa production. A l’inverse, le directeur industriel a d’abord vu l’aspect humain de cette personne, qui est rentrée avec un esprit de cohésion qu’il n’y avait initialement pas au sein de cette équipe. Même si elle était techniquement bien moins bonne que les autres, cette recrue est devenue un élément moteur et a impulsé un fort esprit d’équipe.
Il peut bien sûr y avoir des personnes qui, par principe, sont absolument contre le fait de recruter un ancien militaire. Pourquoi s’embêter avec un profil de ce type, qui doit en plus toucher une pension de retraite, alors qu’on pourrait prendre une personne issue du monde civil qui a certainement beaucoup plus de compétences ?
Vous donnez une directive à un ancien militaire, la directive est faite, suivie et appliquée et il vous rend compte !
Je pense qu’il faut faire changer les mentalités. Pour exemple, je travaillais avec un cadre opérationnel qui était initialement fermé sur le profil ex-militaire. Nous avions pris, à un niveau moindre, un contrôleur aéronautique en stage de reconversion, ce qu’il lui a au final complètement ouvert l’esprit. Vous donnez une directive à un ancien militaire, la directive est faite, suivie et appliquée et il vous rend compte ! Il faut que le RH ou le directeur d’entreprise arrive à faire rentrer un militaire avec lequel ça va bien se passer pour que les collaborateurs récalcitrant arrivent à changer d’état d’esprit.
Quelles sont les difficultés que ces personnes ont pu rencontrer à leurs débuts ?
La plus grosse difficulté que la personne recrutée sur le poste de direction a eu était de faire face au manque de communication interne, cela l’a d’ailleurs profondément marqué (c’était malheureusement une déformation de l’entreprise dans laquelle j’étais). Bien que nous ayons eu de très bons échanges lui et moi, il s’est retrouvé terriblement seul en termes de communication, ce qui était un fossé par rapport à ce qu’il avait pu vivre auparavant.
Il est certain que la communication interne dans le secteur privé ne sera jamais au niveau de ce qu’elle peut être dans l’armée
Pour en avoir discuté avec lui à la fin de son contrat, il a eu la peur que ce soit une pratique présente dans toutes les entreprises privées. J’ai donc essayé de le rassurer sur le fait que cela dépendait énormément de l’entreprise, mais il est certain que la communication interne dans le secteur privé ne sera jamais au niveau de ce qu’elle peut être dans l’armée. qu’il a pu avoir auparavant. Cela passe par exemple à l’armée par le souci du compte rendu, alors qu’en entreprise, un personnel fait sa tâche et on ne va pas aller lui demander de venir dire ce qu’il en est. C’est dommage car c’est ce qui permet aussi à un manager de savoir où en est son équipe et ce qu’elle fait.
La personne recrutée en production a quant à elle eu du mal lorsqu’il a vu que l’esprit d’équipe, d’entraide et de famille que l’on peut avoir dans l’armée est beaucoup moins présent dans le milieu civil (qui est plus individualiste). Quel que soit le niveau d’emploi, il peut y avoir des personnes qui ne sont là que pour leur propre poste, et qui ne vont surtout pas aller dire à quelqu’un qui arrive ce qu’elles font, de peur de se faire voler leur poste par une personne pouvant devenir meilleure.
Quelles sont les facilités que ces personnes ont pu avoir à leurs débuts ?
Lorsque la personne arrive avec un projet défini, cela devient beaucoup plus simple pour elle de s’adapter et d’apporter une dynamique en disant : « aujourd’hui je suis à un niveau 1/10, je sais que je n’arriverai pas à 10/10 en un an mais je veux déjà arriver à un niveau 4 ou 5 et je vais me donner les moyens d’y arriver car je sais ce que je veux faire ».
Il y a sur ces profils une écoute et une facilité d’apprentissage qui est certainement due à la flopée de stages et de formations que peuvent faire les militaires durant leur carrière. Le technicien que nous avions recruté prenait énormément de notes et s’il y avait des choses qu’il ne comprenait pas du premier coup, il faisait de lui-même en sorte d’essayer de comprendre et allait poser la question s’il n’y arrivait vraiment pas.
Cette personne a passé énormément d’heures à rester plus longtemps au travail parce qu’elle voulait comprendre les choses, ce qu’elle faisait et pourquoi elle le faisait
La personne que nous avions prise en direction d’entreprise est arrivée avec une certaine facilité en matière de management et d’organisation mais ne connaissait ni les métiers techniques de ses techniciens, ni la gestion d’une entreprise sur les parties RH, comptable ou encore commerciale. Il a très rapidement pris les choses en main et il y avait ce côté quelque peu caricatural du « quand je démarre une chose, je la fais jusqu’au bout ». Cette personne a passé énormément d’heures à rester plus longtemps au travail parce qu’elle voulait comprendre les choses, ce qu’elle faisait et pourquoi elle le faisait.
Sans vouloir me jeter des fleurs, le fait d’avoir eu cette approche humaine et apporté une réelle écoute semble les avoir aussi aidé dans leur prise de poste. Il y avait aussi un directeur industriel qui était réellement dans le partage de connaissances et qui a beaucoup apporté tant en savoir qu’en reconnaissance.
Qu’est ce que le côté militaire a pu apporter au sein de cette entreprise ?
Il est certain que la première chose qui a été apportée était l’esprit d’équipe. Le technicien est par exemple arrivé en apprenant un métier mais il était par contre le premier à proposer un coup de main à ses collègues lorsque sa machine tournait. Cet esprit d’entraide, de bienveillance et de respect s’est naturellement développé au sein de son l’équipe, puis d’équipes en équipe et dans les autres îlots de production.
Le Directeur a quant a lui beaucoup apporté en matière d’organisation : il a mis en place un solide système de management et, s’étant en un an extrêmement développé techniquement, il a pu apporter à son niveau des connaissances et des compétences techniques à ses équipes. Il avait une aisance relationnelle hallucinante et une autorité naturelle qui lui permettait d’expliquer à un client des choses délicates mais dans des termes rassurants.
On a aujourd’hui la fâcheuse tendance à mettre à la tête des équipes le meilleur profil sur le plan technique, ce qui est selon moi une vaste erreur
Au-delà des compétences professionnelles qu’un ancien militaire pourra transposer, son apport sur le plan organisationnel et de la communication est indéniable. Sur des fonctions d’encadrement, on a aujourd’hui la fâcheuse tendance à mettre à la tête des équipes le meilleur profil sur le plan technique, ce qui est selon moi une vaste erreur car ce n’est pas parce que la personne est extrêmement bonne dans son métier et dans ses tâches professionnelles, qu’elle sera un bon manager, bien au contraire très souvent. Un directeur d’usine n’a pas forcément besoin d’être quelqu’un de très technique car une entreprise a avant tout besoin d’une personne avec une large ouverture d’esprit et qui sache organiser, manager et déléguer des tâches à ses responsables et référents techniques en-dessous de lui. Ce sont typiquement des soft skills dont dispose une personne qui a pu faire du management et de l’encadrement d’équipe au sein des armées. La partie technique peut s’acquérir, par contre, je ne fais pas partie des personnes qui disent que les parties savoir-être et managériales peuvent s’apprendre, et encore moins à l’école.
En cette période de pénurie de profils, en particulier sur des fonctions d’encadrement, je ne peux qu’encourager mes homologues à se tourner aussi vers des candidats issus des armées, surtout après tout ce que ces personnes ont pu d’une certaine manière fait pour nous. Je suis en tout cas sur mon nouveau poste dans la même dynamique pour faire en sorte d’intégrer des anciens militaires.
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