Pénurie de commerciaux : quid des anciens militaires ?

Pénurie de commerciaux : quid des anciens militaires ?

Selon une étude menée par Randstad en octobre 2020 , les commerciaux sont dans le top 3 des candidats les plus recherchés par les entreprises en France (14310 annonces, soit une croissance de 29% en un semestre). Cette forte demande est intrinsèquement liée à la pénurie de bons profils commerciaux, phénomène que l’on observe depuis plusieurs années.

Cette tendance est entre autres liée au fait que les étudiants boudent à présent de ce type de métiers, qui ont mauvaise presse dans la société (comme en témoignent les nouveaux intitulés de poste qui gomment le terme “commercial”). De plus, les écoles de commerce s’intitulent aujourd’hui « école de management » : elles n’ont plus vocation à former des commerciaux en tant que tels.

Au-delà des analogies qui existent entre le monde des armées et celui du commerce (voir le livre Stratégies militaires, stratégies commerciales même combat ? de Jérôme Grajezyk), les “soft skills” sont aujourd’hui particulièrement valorisées dans le recrutement de profils commerciaux. A ce titre, les candidats disposant d’une première carrière sous les drapeaux ont une belle carte à jouer devant des acheteurs de plus en plus exigeants.

Loin de l’image d’Epinal du VRP, analysons les compétences d’un bon commercial, et ce au regard d’un parcours au sein des armées et en allant au-delà du récurrent “sens de l’adaptabilité” (certes indispensable dans une économie à flux tendu, mais complexe à faire valoir avant l’intégration effective d’un ex-militaire en entreprise).

Maîtrise du produit

Gardons en tête qu’au sein des armées, ne pas comprendre, c’est se mettre et mettre les autres en danger lors d’une opération. Une multitude d’éléments non-maîtrisés peuvent mettre en péril une mission : un renseignement incomplet, une directive mal interprétée, un mode d’utilisation incompris d’un matériel, etc. Il ne peut donc pas y avoir de place pour le manque de précision.

Lors d’un reportage, Christophe Heben (ancien membre des Navy Seals) disait : « si je dois apprendre tout ce qui concerne un sujet donné avant 8h demain matin, je peux le faire, tout comme mes camarades”. Il faut noter que lorsqu’ils ne sont pas déployés en opération, les militaires dédié leur majeure partie du temps à la formation. Ainsi, ils développent au fil de leur carrière une forte capacité d’apprentissage et ce face à une multitude de sujets pointus (ex. déminage, navigation, guidage d’avion de chasse, secourisme de combat, etc.).

Bien entendu, on ne peut pas attendre d’un commercial qu’il soit au même niveau technique qu’un opérationnel qui, lui, dispose de l’expertise métier. Cependant, il se devra de connaître parfaitement le service/produit proposé par son entreprise (caractéristique, cas d’usage, etc.) afin de conseiller son client et gagner sa confiance. Ainsi le temps de montée en compétences sur le produit ou le service qu’elle promeut, qui peut varier de quelques mois à plusieurs années selon les secteurs, est un indicateur clé de performance de la force de vente d’une entreprise.

Planification et organisation

Un des préceptes qui prime au sein des armées est la “loi de l’emmerdement maximal” (communément appelée “Loi de Murphy”). Face à cela, tout militaire aborde son travail à partir de cas-non conformes. Cela consiste à analyser les événements exogènes pouvant survenir lors d’une opération, afin d’identifier en amont ce que l’on peut faire pour en limiter la probabilité et d’identifier les actions à réaliser en cas d’occurrence.

Au-delà de cette anticipation, les militaires travaillent continuellement avec des procédures, pensées de la manière la plus simple pour ne pas devenir chronophages, afin de laisser le moins de place au hasard et à l’incertitude. Par exemple, le célèbre PATRACDR permet de faire une « check-list » dans le but de prendre en compte tous les éléments nécessaires pour le bon déroulement d’une opération : Personnel, Armement, Tenue, Radio, Alimentation, Commandement, Déroulement et Rendez-vous.

Puisque le commercial est en première ligne face aux clients, son métier est particulièrement pressurisant au quotidien. Ceux qui performent ont certes un talent non-négligeable mais ce sont très souvent des profils disposant d’une auto-discipline forte pour organiser leur travail où ils doivent jongler entre prospection, relances, réunions techniques, reporting, etc. Combien de commerciaux débutants ont pu, faute de préparation, se retrouver dans une salle de réunion sans vidéo-projecteur et sans réseau téléphonique pour effectuer une présentation qu’ils n’avaient pas chargée sur leur ordinateur ? Ou encore à devoir boucler un appel d’offres à la hâte la veille de l’échéance, par manque de coordination ?

Compréhension des enjeux du client

Le respect de la hiérarchie et de l’ordre qui est donné est un fondement nécessaire à la conduite d’une opération militaire, et ce afin que les différentes parties prenantes soient bien coordonnées. Cependant, arriver à amener l’ensemble des troupes dans une même direction ne peut se faire sans discernement. Tout militaire se doit de parfaitement comprendre les attentes et freins de ses camarades, ce qui passe par l’écoute de l’autre et la curiosité par rapport aux différentes personnalités. A ce titre, on dit très souvent qu’un bon chef (du chef d’équipe à l’Officier Général) est celui qui sait être proche de ses hommes.

De plus, le travail militaire est une gestion constante de l’imprévu (c’est d’ailleurs pourquoi beaucoup d’anciens militaires œuvrent en entreprise dans la gestion de crise). Dans ce contexte, chaque militaire est prédisposé à :

  • Recueillir le maximum de renseignements sur la situation (ex. le moteur d’un zodiac est HS) ;
  • Analyser la situation (ex. les deux autres zodiacs déployés ne sont pas suffisants pour embarquer tous les commandos) ;
  • Proposer des solutions pour agir efficacement (ex. une exfiltration par les airs est nécessaire).

Il s’agit bien entendu d’un exemple volontairement simplifié mais disposer d’informations fiables et qualifiées est le nerf de la guerre pour un décideur. Tout passe par une bonne observation méthodique de la situation afin d’agir en fonction.

La compréhension rapide de l’environnement d’un prospect, de ses défis quotidiens ainsi que de ses objectifs personnels, est le socle d’une proposition commerciale répondant parfaitement aux attentes du client (et surtout pour anticiper ses besoins). Combien de marchés ont pu être perdus du fait qu’un concurrent, disposant parfois de capacités moindres, ait mieux adressé un besoin en matière de modus operandi, de séniorité des profils ou de budget ? L’aspect “politique” ayant très souvent une forte incidence sur la prise de décision, l’intelligence émotionnelle du commercial et son écoute active sont véritablement un de ses meilleurs alliés.

Éloquence et conviction

Dès le stade de chef d’équipe, les militaires sont amenés à être responsable d’une des briques d’une mission, comme la phase d’infiltration, la liaison radio ou encore l’effraction. Après avoir procédé à la conception de sa portion d’opération, le jeune militaire devra alors défendre auprès de donneurs d’ordre le mode opératoire qu’il a jugé opportun et ce, de la manière la plus claire et compréhensible pour « vendre la mission au chef ».

Ces responsabilités donnent lieu, lors des briefings en stage de formation, à des chahutages animés de la part des instructeurs. Cela est indispensable pour que le stagiaire prenne progressivement confiance en ce qu’il avance et surtout, qu’il adapte au fil de son évolution de carrière et selon le niveau d’autorité à adresser (chef de groupe, de section, etc.) son discours, les messages clés qu’il va délivrer, ainsi que son style de communication.

Que ce soit lors d’un premier rendez-vous chez un prospect ou durant une soutenance dans le cadre d’un appel d’offres, l’aisance à l’oral ainsi que l’assurance dont pourra disposer un commercial sont fondamentales pour générer de la confiance. Cela passe entre autres par le fait de prendre le temps de gérer l’urgence sans urgence lorsqu’un pic est envoyé par son interlocuteur (cela fait partie du jeu) mais aussi de répondre avec mesure tout en étant convaincu de sa réponse. Il ne faut pas sous-estimer que les clients signent très souvent pour la confiance qu’ils ont en la personne en face, au-delà de l’entreprise et de la qualité du service/produit proposé.

Vision d’équipe

Bien que leur action soit décisive, les forces spéciales au sol ne sont rien sans les pilotes d’hélicoptère qui vont les déposer, sans les techniciens qui s’occupent de la maintenance de leurs équipements, sans les équipages d’aéronef qui vont leur larguer du ravitaillement ou encore plus globalement, sans le soutien sur base qui s’occupe de tous leurs aspects administratifs. Grâce à cela, ces commandos peuvent ne se focaliser uniquement que sur la mission et le geste chirurgical qu’ils ont à réaliser : tous ont parfaitement conscience de la “chance” que ce confort de travail leur apporte.

Au-delà des différents métiers collaborant lors d’opérations comme Barkhane (logistique, renseignement, fourrier, restauration, etc.), les armées agissent régulièrement au sein de Task Force composées d’unités provenant de différents pays. Pour le succès des missions, chacun devra alors comprendre la culture de l’autre et adapter ses modus operandi pour agir dans un but commun. Du fait d’échange de bonnes pratiques, le travail en “coalition” est d’ailleurs très moteur dans la montée en compétences des militaires.

Dans un contexte similaire, les commerciaux se doivent d’œuvrer au sein d’un dispositif global en prenant entre autres en compte les équipes qui vont délivrer le service ou produire, ainsi que celles en charge de l’administration des ventes voire du personnel. Bien que le commercial soit à l’initiative du business, chaque maillon est fondamental pour le succès d’un deal : les commerciaux qui réussissent sont ceux qui arrivent à fédérer l’ensemble de l’équipe projet autour d’une mission.

Culture de la performance

Pour les unités œuvrant par exemple en “contre-terrorisme et libération d’otages”, l’effet de surprise est indispensable pour garder l’ascendant. Avec une réelle culture de l’amélioration continue, la remise en question se doit donc d’être permanente pour disposer toujours des millisecondes d’avance sur l’objectif. Ce souci du détail passe par des éléments triviaux comme la façon dont on organise son sac opérationnel, comme le font des alpinistes chevronnés pour accéder rapidement au matériel de première nécessité.

Derrière l’adage “la mission est sacrée”, qui témoigne d’un engagement sans faille (souvent motivé par la volonté de vouloir être le meilleur pour ses camarades), il faut voir que le militaire est résolument “result-oriented” et chacune de ses actions est ponctuée par un retour d’expérience (RETEX ou REX). Dépassant le simple débriefing, l’objectif est de comprendre de manière positive comment œuvrer de manière plus efficace pour la prochaine opération, avec bien entendu comme désir de préserver l’intégrité physique et psychologique de chacun.

Du fait qu’il soit intéressé sur ses résultats, le commercial est un véritable performeur. Cependant le rythme effréné des affaires qu’ils génèrent fait que certains managers commerciaux ne prennent parfois pas le temps de se poser pour prendre de la hauteur sur leurs facteurs clés de succès ou les raisons d’un appel d’offres perdus. Malgré le fait que le secteur de la vente soit intrinsèquement cyclique, combien d’acteurs de la grande distribution passent du coq à l’âne après les périodes de négociations commerciales annuelles avec leurs distributeurs et centrales d’achat ?

Générateur de confiance

“C’est le terrain qui dicte l’action” : il faut voir y voir un concept fort dans l’approche qu’ont les militaires de leur métier. Ils adaptent leur façon de faire aux contextes qu’ils rencontrent et ce, bien au-delà des cas non-conformes qu’ils ont pu identifier. Ainsi la myriade de spécialités nécessaires pour mener une opération sait écouter le sachant dans le cadre d’une situation critique (ex. face à un colis possiblement piégé) et ce, peu importe son grade.

Dans ce contexte, le cursus de formation au sein des armées fait que le militaire connaît ses limites pour ne pas mettre son équipe en porte à faux. Au-delà de la franchise, le militaire saura, s’il n’est pas “en mesure de”, rendre compte pour donner les clés à la personne compétente pour conseiller le décideur afin qu’il agisse en tout confiance pour résoudre le problème. Pour ce faire, il exposera factuellement la situation initiale, là où l’on en est et surtout plusieurs propositions « terrain » pour résoudre le problème rencontré.

Une multitude de faits involontaires peut mettre à mal un projet business (ex. rupture d’approvisionnement lors d’une pandémie). Un client pourra perdre patience face à un commercial enjolivant la situation et surtout, subissant l’imprévu. L’acheteur préfère souvent s’appuyer sur un partenaire engagé et proactif qui sait lui énoncer le problème en toute transparence et surtout être force de proposition pour agir dans une relation gagnant-gagnant en choisissant la meilleure solution (qui est souvent loin d’être la plus coûteuse…).

Conclusion

Il serait malvenu de faire des généralités sur les milliers de personnes ayant fait le noble de choix de s’engager sous les drapeaux. Pour autant, l’armée a la force d’inculquer des valeurs communes à ceux passant un séjour plus ou moins long en son sein.

Dans un contexte business tendu où les soft skills prennent un poids parfois plus important que les études, il va de soi que les anciens militaires doivent, comme n’importe quelle recrue, être accompagnés dans leur montée en compétence pour leurs fonctions commerciales. Un des champs d’action prioritaires pour ces profils étant par exemple la culture de la marge qui n’est pas présente au sein des armées.

Cependant, il est nécessaire de se rappeler que la connaissance technique s’acquiert tandis que le savoir-être (ie. la science de la relation client) est quant à lui, ancré dans la personnalité de chacun et qu’un commercial, humble, agile et surtout loyal est fondamental dans la stratégie de développement d’une entreprise.

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