Tony : De militaire à entrepreneur dans le secteur du secourisme

[Interview de Tony] De militaire à entrepreneur dans le secteur du secourisme

Propos recueillis par Grégoire Jacquet

Quel est ton parcours au sein des armées ?

Doté dès mon plus jeune âge d’un esprit de compétition, j’ai d’abord pensé à épouser la carrière de sportif de haut niveau au travers des pratiques comme le football puis les sports de combat (boxe thaï). Cette culture de la discipline m’a progressivement orienté vers le monde des armées, au grand regret de mes proches qui ont longtemps été obnubilés par les risques que comporte ce métier, mais qui me permettrait aussi de découvrir le monde.

Le Bac en poche, je décide d’intégrer un cursus universitaire “management du sport et accompagnement de personnes à mobilité réduite”. En parallèle de ma deuxième année, je passe les tests pour intégrer l’Ecole de Maistrance à Brest avec pour objectif d’intégrer les Commandos Marine, seule unité permettant à mon sens d’évoluer dans tous les milieux : maritime, terrestre et aérien.

Les formations initiales que j’ai pu suivre m’ont permis de rencontrer bien plus que des amis. En effet, le Stage Commando, que nous avons eu avec certains la chance de suivre, nous a permis de partager des moments inoubliables. Après plusieurs mois de dépassements permanents tant physiques que psychologiques, nous avons pu ensemble décrocher le fameux béret vert (16 retenus parmi 100 prétendants).

Bien que breveté “Commando Marine”, j’ai eu tout à apprendre du métier

Cette formation réalisée, j’ai ainsi eu la chance d’intégrer le Commando Jaubert, et rejoins un camarade d’école qui a par la suite malheureusement payé de sa vie pour le succès d’une opération de libération d’otage il y a peu. Bien que breveté “Commando Marine”, j’ai eu tout à apprendre du métier pour maîtriser le socle de base et les compétences nécessaires pour servir au sein d’un groupe d’actions spéciales, ne serait-ce que par la prise en compte de nouvelles technologies et la répétition incessante de geste réflexes pour performer au mieux au sein d’une équipe.

Après différentes missions, il m’est proposé d’évoluer en qualité de Chef d’équipe et de suivre le stage adapté pour y parvenir. La logique dans ces unités est simple : soit on progresse, soit on sort. Suite à cette formation (avec un nouveau “Stage Commando”) que je valide, j’ai eu l’opportunité d’être déployé en mission au Moyen Orient qui fut assez mouvementée.

Ma mission était de requalifier l’entièreté du commando

Du fait d’un problème de santé que rencontrait un de mes proches dans le Sud, il m’était nécessaire de me sédentariser : j’ai ainsi œuvré, bien que non-breveté « Nageur de combat”, pour rejoindre Toulon et le Commando Hubert. Ayant réussi la formation de secourisme de combat au préalable, ma mission était de requalifier l’entièreté du commando en secourisme et de superviser certains de leurs exercices sur demande des chefs de groupe.

Au contact d’une population très exigeante, j’ai eu la chance de me perfectionner face à de très nombreuses situations (poses de perfusion, fractures ouvertes, trichotomie, etc.). Après avoir eu l’opportunité de grimper différents échelons, je me suis posé la question de mon avenir au sein des armées.

Pourquoi et quand as-tu quitté l’institution ?

Après 10 ans de services, je me suis rendu compte que j’avais atteint tous les rêves que je m’étais fixés plus jeune et que j’avais encore beaucoup de projets en tête. Rester dans l’institution ne m’aurait d’une certaine manière pas permis d’être maître de toutes les décisions qui auraient impacter le reste de ma vie et celle de mes proches. De plus, le travail de Commando Marine, si magnifique soit-il, est un métier égoïste et ne le permet pas à mon sens.

La perte de deux camarades au Mali en 2019 au cours d’une opération de libération d’otages m’a fait franchir le pas. Après avoir  commencé la réflexion seul, je me suis ouvert à mon cercle personnel pour recueillir des conseils car je cherchais des « validations » pour franchir le pas car c’est finalement bien plus difficile que de passer la porte de l’avion lorsqu’elle s’ouvre la première fois. J’ai eu de réels moments de doute au début de la réflexion mais la perte de mon ami en opération résonne comme la tape du largueur, je valide cette décision pour de bon et je saute.

Comment as-tu abordé ta deuxième vie professionnelle ?

Après avoir décidé de ne pas renouveler mon contrat au sein de la Marine Nationale, j’ai enchaîné les rendez-vous avec les conseillers dédiés à la reconversion des militaires, qui malgré toujours une bonne volonté et une certaine empathie, n’étaient pas forcément armés pour répondre à mes questions, ne sachant pas toujours décortiquer ce que demande le monde de l’entreprise et ce je peux proposer.

Je prends donc les choses en main en commençant par développer mon réseau, d’abord de manière artisanale car ne maîtrisant pas tous les codes du secteur privé. A force d’abnégation, je rencontre des personnes réceptives à mon profil, à mon projet et attentives à mes questions qui me donnent d’excellents conseils pour améliorer ma stratégie de recherche.

Faisant le constat que les antennes d’aide à la reconversion de l’armée n’étaient pas le meilleur moyen pour m’aider sur mon projet, j’ai par le biais de mes initiatives formaliser mon projet : révolutionner l’image du secourisme à travers des équipements et des formations. En soit, réaliser quelque chose de différent de tout ce connaît aujourd’hui le grand public.

Quels ont été tes doutes dans cette période de transition ?

Dès qu’un doute se présente, je m’empresse de le partager en contactant et en échangeant avec des professionnels car il m’est intrinsèquement obligatoire de trouver des réponses aux questions que j’ai dans la tête. La validation de la pertinence et de la faisabilité de mes solutions me permet d’avancer plus sereinement : traiter les problèmes dès qu’ils arrivent et ne jamais les remiser pour plus tard.

Un doute assez fort était lié au fait de vivre financièrement de mon projet. Quand on envoie 100 e-mails et que l’on a seulement 1 retour, cela interroge. En sécurité, j’ai structuré mon activité professionnelle avec d’autres sources de revenus comme celle de formateur via des organismes déjà en place, me permettant aussi de développer ma marque et mon réseau.

Avec le recul, quelles sont les qualités développées dans les armées qui te semblent aujourd’hui les plus valorisables dans le secteur privé ? Et inversement, ce qu’il te faut adapter ou gommer ?

Le processus pragmatique de sélection que j’ai pu suivre développe certes une volonté à toute épreuve mais surtout un esprit de groupe. En effet, les conditions dans lesquelles se déroulent les sélections et les missions rendent impossible le fait de ne pas « jouer collectif » face au doute et aux difficultés. Oeuvrant en petits groupes, il faut être prêt à tout pour protéger son collègue de travail.

J’y ai aussi développé la capacité à être pragmatique pour discerner rapidement des situations et prendre des décisions. Il faut toujours avancer et aujourd’hui, je pense avoir la chance d’être parfois plus à même de gérer des situations de crise qui me paraissent plus rationnelles que pour d’autres. Au-delà de la gestion du stress, la faculté à prioriser les actions est un atout en entreprise.

Il est attendu de chacun des militaires d’être toujours dans l’innovation

Les forces armées ont à présent une image très sclérosée et pourtant, la force de proposition y est fondamentale. En particulier dans les forces spéciales, il est attendu de chacun des militaires d’être toujours dans l’innovation et la recherche d’améliorations, avec par exemple l’apport des nouvelles technologies et la remise en question perpétuelles des différentes techniques.

Bien que cela puisse être un atout, l’humilité des anciens militaires peut être un frein pour le développement en entreprise car l’on peut ainsi se faire marcher sur les pieds. Il faut donc bien se connaître et avoir confiance en soi (ce qui n’est pas simple pour un militaire en bascule).

Quels seraient tes conseils pour les militaires souhaitant se lancer dans le secteur privé ?

Il est selon moi nécessaire de bien s’entourer et cela vaut pour un futur entrepreneur comme pour un futur employé. Pour bien se lancer et se donner les chances de réussir, il est nécessaire d’aller chercher des compétences, de la complémentarité, et de s’entourer de professionnels très éloignés du monde militaire. Seul, la tâche est impossible et malgré les nombreuses compétences acquises au sein des forces spéciales, il va de soi que je ne sais pas tout, très loin de là.

Et avant même de quitter la Marine, j’ai pris le temps (et je continue encore aujourd’hui) d’échanger avec des dizaines de personnes pour m’ouvrir, élargir ma vision, affiner mon langage, apprendre les codes du civil, et avoir des retours d’expériences et avis… C’est vraiment une des principales clés qui fait gagner beaucoup de temps.

Il me semble aussi important d’être lucide sur ses forces et faiblesses. Me concernant, je savais que je pouvais capitaliser sur mes compétences acquises ces dix dernières années en secourisme, formation, gestion de projet, planning…. Mais dans les premiers temps il m’est déjà arrivé de me dire « je ne sais rien faire, mon job se résume à tenir un fusil”,  pensant repartir de zéro dans le civil.

Tout est dans la nuance et la capacité à rester à sa place

Le fossé peut paraître important, parfois effrayant, car la culture est différente de celle de l’entreprise en matière de vocabulaire, de façon de communiquer, de relations interpersonnelles, de liens hiérarchiques, d’échanges avec des prospects ou clients … Tout est dans la nuance et la capacité à rester à sa place tout en étant sûr de soi et de ses forces, j’aime beaucoup employer le terme « d’intelligence de situations ».

De plus en plus, je prends conscience de ce qu’un militaire peut apporter au monde de l’entreprise, dans la mesure où il garde une intelligence de situation, grâce notamment à son expérience humaine et à la plupart des formations suivies dans les forces armées. Toujours s’adapter : c’est le terrain qui commande comme on dit. Beaucoup caricaturent celui qui vient de l’armée, et ils n’ont pas toujours tort. Attention à ne pas tomber là-dedans en étant la caricature de ce qu’on est et ce, en prenant très régulièrement du recul.

Enfin, il me semble impératif de ne rien s’interdire. Évidemment l’idée n’est pas de partir dans tous les sens ou en prenant trop de risques mais de se donner le temps et les moyens de minimiser ces derniers.: il ne faut en effet pas se mentir et forcer sa nature. L’entreprenariat (du haut de ma courte expérience) n’est pas fait pour tout le monde et l’avenir me donnera encore, c’est certain, des leçons. La vie est courte et quand on est porté par une passion et un projet et que rationnellement on y croit, il faut foncer !

Peux-tu nous présenter tes activités actuelles et ton projet ?

Hémotion est une entreprise qui a pour ambition de révolutionner l’image du secourisme. En 2021, environ 30% de la population française a déjà assisté au moins une fois dans sa vie à une formation de premiers secours. Chez nos voisins Allemands, Norvégiens ou Danois, on monte à plus de 80%.

Comme beaucoup de Français, j’ai été marqué par les attentats qui ont frappé notre pays et qui ont provoqué chez moi un très fort sentiment d’impuissance. Ce fut le déclic : Allons casser les codes parfois poussiéreux et « repoussants » autour du secourisme car ne pas savoir réagir face à l’imprévisible est pour moi le pire des sentiments.

Une majorité de personnes sont convaincus que le secourisme est trop compliqué : je vois beaucoup de personnes complètement bloquées à « la simple » vue d’un mannequin de secourisme. C’est très dommageable mais la raison d’être de Hémotion est bien de faire évoluer la chose. Savoir comment réagir quand nécessaire est en fait au fond un sujet extrêmement attractif quand il est bien présenté, car demain dans 9 cas sur 10, c’est ton ami(e) ou un proche que tu auras entre les mains. C’est comme ça que je vois les choses.

Pour mettre en œuvre cela, je travaille alors avec des sportifs, des adeptes de l’aventure, mais surtout avec des hommes et des femmes du quotidien pour dépasser les : « le secourisme c’est trop compliqué », « j’appréhende d’appeler les secours car je ne saurais pas quoi leur dire », « le garrot me fait peur », « je vais aggraver le problème »…. C’est le meilleur moyen pour briser la glace et parler rapidement de choses simples et concrètes.

L’armée nous apprend avant tout à faire preuve de pédagogie pour faire adhérer un groupe à une cause commune, et aujourd’hui cela s’applique à ma vie de tous les jours.

Militaire d’active, vous initiez un projet de reconversion ?

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