Jean-Pierre : De militaire à Responsable Régional dans le secteur des loisirs sportifs
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Quel est ton parcours militaire ?
Souhaitant sortir d’un cadre familial compliqué, j’ai rejoint l’École des Mousses à 16 ans pour passer ensuite le concours d’entrée à l’Ecole de Maistrance. N’ayant pas fondamentalement été très assidu durant ces études, mon classement ne m’a pas permis de rejoindre la formation “Fusiliers Marins Commandos” au sein de laquelle les places étaient limitées à la sortie de Maistrance. Je me suis alors orienté vers la spécialité d’infirmier.
Particulièrement attiré par la vie nocturne, j’ai passé « correctement » mes premiers diplômes pour être affecté à l’Hôpital de Brest. Bien que je n’avais que 19 ans et le grade de second-maître, je me suis rapidement retrouvé adjoint de l’infirmier major. Sans réelle expérience, mon chef m’a donné des responsabilités, de gestion du personnel, de pratique de soins et de suivi des visites du médecin-chef. Du fait de mon manque d’assiduité pendant mes études d’infirmier, certaines connaissances me faisaient défaut. J’ai donc dû beaucoup travailler pour montrer mes compétences aux médecins avec qui je travaillais et être plus à l’aise lorsque l’on m’a confié d’être responsable de garde de deux services (nuit et weekend).
Lorsqu’il s’agit de faire venir un hélicoptère et que le commandant n’est pas toujours en phase, il ne faut pas se tromper dans son diagnostic
J’ai ensuite embarqué à 22 ans sur un Aviso au sein duquel j’étais le seul infirmier pour 80 marins. Je me suis alors retrouvé face à des situations où j’ai eu à prendre des décisions peu évidentes, comme celle de faire évacuer des marins en pleine mer. Lorsqu’il s’agit de faire venir un hélicoptère et que le commandant n’est pas toujours en phase, il ne faut pas se tromper dans son diagnostic et avoir le bon argumentaire pour responsabiliser le décideur en face de soi. Au-delà de ça, j’ai eu à gérer des choses plus usuelles comme recoudre des plaies de marins dans des mers agitées, mais aussi traiter des abcès dentaires. Il était alors indispensable d’être rigoureux à chaque instant et ne pas se laisser étourdir par les distractions qu’il peut y avoir parfois sur certains bateaux.
En tant qu’infirmier, il faut certes soigner les marins mais aussi être à leur écoute : cela peut être des marins comme des officiers mariniers supérieurs et des officiers (plus rarement) qui ne sont pas bien dans leur vie, qui ont des problèmes avec l’alcool, leurs femmes ou leurs enfants. Le Commandant attendant du “confesseur” qu’il lui donne une vision de l’état d’esprit du personnel, il me fallait faire preuve d’empathie par rapport aux soucis de chacun, de cohérence par rapport à la situation globale du bateau, et de discernement pour l’aider à prendre ses responsabilités face à différentes situations.
Embarqué sur des navires pendant huit ans, j’ai eu la chance de faire 75 escales qui m’ont permis de découvrir différentes cultures
Cela m’a beaucoup fait mûrir car en tant qu’infirmier, il n’y avait que très rarement de médecin avec moi, ce qui n’était pas le cas pour les autres spécialités à bord (il pouvait s’appuyer sur 2-3 de ses homologues). Embarqué sur des navires pendant huit ans, j’ai eu la chance de faire 75 escales qui m’ont permis de découvrir différentes cultures. N’étant pas de nature à fréquenter les musées ou les sorties formatées pour les militaires, je prenais mon vélo pour découvrir différents pays d’Afrique par exemple et aller à la rencontre des personnes du territoire.
Je suis ensuite partie en famille pendant deux ans en Nouvelle-Calédonie où j’étais affecté à la base aéronavale de Tontouta. J’ai alors dû me remettre en question sur le plan technique car une grande partie de mon travail était d’aller chercher en hélicoptère ou en Falcon des patients dans les îles et sur les navires aux alentours. Sur le territoire calédonien, j’ai rencontré le Commandant Choron, second de la base de Nouméa qui, m’ayant repéré en tant que sportif, m’a proposé de rejoindre les Commandos Marine en tant qu’infirmier après mon affectation outre mer (cela faisait plusieurs années que je me portais volontaire pour rejoindre ces unités). Un poste d’infirmier s’est libéré au sein de cette unité d’élite et je pense qu’il a poussé mon profil auprès du médecin-major des commandos.
Il m’a appris toutes les techniques commandos, en tir ainsi qu’en sports de combat, que je ne connaissais pas jusqu’alors
Nous étions à l’époque au début de la création du Commandement des Opérations Spéciales, dont les Commandos Marine font partie, et il était alors nécessaire de travailler certains concepts. Le fait de disposer de bonnes aptitudes sportives en plus d’être infirmier a pu aider ma candidature : d’abord affecté à la base des Fusiliers Marins Commandos (BOA), j’ai fait rapidement mon stage parachutiste à Pau et j’ai pu rejoindre le Commando Trépel à Djibouti. J’ai eu la chance d’avoir comme chaperon l’Adjudant du Commando qui était excellent commando et pédagogue : il m’a appris toutes les techniques commandos, a été un excellent instructeur tir ; pour ce qui des sports de combat, j’en avais déjà la pratique. Avec un sac sur le dos, j’avais aussi certaines aptitudes à la résistance à l’effort quelque soit les conditions climatiques.
C’était à nouveau une réelle remise en question car je me retrouvais face à une élite et de fortes personnalités. Il est certain que mon âge (j’avais 32 ans en arrivant en Commando) a joué en ma faveur lorsqu’il s’agissait de convaincre certains chefs de mission qui pouvaient être parfois obtus dans leurs choix opérationnels concernant l’intégrité de leurs personnels. Mon rôle de modérateur a peut-être évité des drames. Partant régulièrement en mission en ex-Yougoslavie pour faire du CSAR (Combat Search and Rescue), je me suis quelquefois retrouvé face à des pilotes de chasse, des stars dans leur domaine qui arrivent à poser un zinc sur un timbre poste, à leur expliquer comment on allait faire pour aller les chercher dans des zones hostiles. Il n’était pas évident de s’imposer face à ces personnalités mais après de nombreux exercices, ils n’ont pu que constater le sérieux de notre démarche lorsqu’on allait les chercher en grappe en pleine nuit et qu’il fallait les médicaliser avant de les évacuer.
Il y a ensuite eu le Rwanda. Cette mission a été très difficile à vivre avec des prises de décision très importantes face à des situations d’un drame humain extrême. J’ai encore dû monter d’un cran en matière de technicité : amputer en pleine brousse des doigts de locaux qui arrivaient avec des mains explosées par des grenades, recoudre des personnes qui avaient reçu des coups de coupe-coupe, accoucher des femmes dans des endroits inadaptés, etc. Je dépassais complètement mon cadre d’emploi mais on sait qu’en Afrique, le cadre d’emploi d’un infirmier est très différent. J’étais avec un médecin qui était plutôt dans le monde de la réanimation (c’est d’ailleurs à présent un grand professeur à Marseille) qui me disait : « je m’occupe d’endormir la personne et tu t’occupes de faire le geste chirurgical ». Le fait d’avoir profité de mes moments de répits en Commando pour aller en observateur à l’hôpital des armées de Lorient lors de plusieurs opérations m’a beaucoup aidé.
Cela nous a amené à développer de nouvelles techniques d’intervention de soins et à intégrer un infirmier dans les colonnes d’assaut des groupes CTLO
Je suis ensuite devenu responsable de l’infirmerie des commandos où j’ai été affecté au groupe spécialisé « Contre-Terrorisme et Libération d’Orages » (CTLO, ex-GCMC). C’était juste après l’assaut du GIGN à Marignane. Le GIGN ne disposant pas à ce moment-là de personnel médical pour intervenir sur place, un « médecin d’unité » s’est retrouvé sous la carlingue de l’avion pour prodiguer les premiers soins. Cela nous a amené à développer de nouvelles techniques d’intervention de soins et à intégrer un infirmier dans les colonnes d’assaut des groupes CTLO avec certes le sac médical mais aussi avec la combinaison noire, le casque, la cagoule, les armements, etc. Au-delà de l’équipement, nous étions rompus aux techniques de combat et avions adapté nos modes opératoires dans un contexte “forces spéciales” : corde lisse, grappe, rappel hélico, combat en milieu clos, de stage en haute montagne, etc.
Après une hernie discale qui m’a calmée pendant 6 mois, je suis parti Djibouti où j’ai fait face à un dramatique accident. Un saut en parachute au-dessus du Grand Bara : un mort et un blessé grave, avec mon collègue du Commando Trepel nous avons assumé nos responsabilités pour la prise en charge deux victimes. Il m’a été reproché d’avoir fait atterrir l’hélicoptère au CHA Bouffard (l’hôpital de proximité), mais je voulais à tout prix aller au plus près pour que les médecins essaient de pratiquer une réanimation sur le collègue qui était à mes yeux, décédé.
Mon dernier déploiement était en Guinée-Bissau. Deux mois après mon arrivée, la junte militaire a décidé de rompre les accords en place et de foncer sur l’ambassade de France pour tuer le président en place qui était venu s’y réfugier. Face à 300 hostiles, notre équipe de 10 commandos a rapidement compris qu’on ne nous ferait pas de cadeaux. La situation était complexe car pour éviter d’envenimer la situation, nous n’avions pas le droit de tirer un seul coup de feu : il fallait donc garder son sang froid. Les portugais, dont j’avais soigné l’ambassadeur pour une crise de paludisme, ont heureusement fini par nous accueillir après tractations. Situation dramatique pour le pays dont nous aurions pu être les victimes collatérales.
Pourquoi et quand as-tu quitté l’institution ?
J’avais trois enfants et j’avais vécu des situations assez dramatiques et d’autres où j’ai failli perdre la vie, accident de parachutisme notamment. J’avais donc envie d’élever mes enfants. Je suis donc parti à l’Ecole Navale pour finir ma carrière dans l’optique de préparer une seconde vie dans le privé. Cette expérience m’a permis de m’exercer dans le montage de dossier mais aussi de travailler ma diction (j’ai souvent été amené à intervenir devant un parterre d’élèves officiers qui n’étaient pas forcément à l’écoute d’un Premier Maître).
L’Ecole Navale a été un très bon sas avant l’arrivée dans la vie civile et souhaitant voir autre chose que le métier d’infirmier, cette affectation m’a donné plus de temps pour reprendre mes bouquins à 40 ans et ainsi pouvoir me présenter en candidat libre aux différents brevets d’Etat de sport. Cela m’a alors permis de partir au CREPS de Dinard où bien qu’étant le plus vieux, j’ai terminé major de la promo.
Qu’as-tu fait sur le plan professionnel depuis ta sortie des Armées ?
Il semble que durant ma formation au CREPS, mon sens de la rigueur et ma curiosité ont été appréciés par le directeur technique du pôle France à Brest avec qui j’étais en stage et qui m’a proposé de travailler avec lui en tant que responsable des groupes « compétition » en natation.
Ce premier poste était très intéressant mais au bout de 6-7 ans, j’ai senti que cela ne progressait pas. N’aimant pas les plateaux, je me suis formé en tant qu’entraîneur de triathlon et j’ai créé en parallèle une section de triathlon. D’une section à 20 personnes, nous sommes arrivés à plus de 140 licenciés dont certains sont allés aux championnats de France. Le club manquant de budget, j’ai développé différentes activités lucratives comme l’aquagym ou encore les sessions “bébés nageurs”. Voulant anticiper les JO de Londres 2012, j’ai monté avec un ancien membre de l’équipe de France un projet ambitieux pour développer une équipe majeure au sein du club grâce à un important budget de sponsoring entre autres (250 000€). Le comité directeur m’ayant ri au nez lors de la présentation, j’ai demandé à partir de l’association car nous n’étions pas sur la même longueur d’onde.
Nous avons pu organiser une épreuve internationale où sont venus par exemple venus des australiens et des néo-zélandais
J’ai ensuite créé ma propre structure de triathlon au sein de laquelle j’ai réussi à récupérer la majorité des athlètes que j’avais quitté ainsi que les sponsors démarchés. Soutenus par des directeurs d’entreprises de la région à qui j’avais appris aux enfants à nager, nous avons pu organiser une épreuve internationale où sont par exemple venus des Australiens et des Néo-Zélandais (le prize money était attractif) et dix-sept de nos jeunes sont allés aux championnats de France. Les instances fédérales ont décidé de récupérer progressivement mon bébé, comme la section “sport étude” qui est partie à Rennes. Suite à un accident de vélo, je me suis retrouvé seul avec ma femme à soigner mes plaies : l’aide que je pouvais attendre des personnes que j’avais accompagnées jusqu’ici n’est pas venu. Dégoûté, j’ai tout laissé tomber.
Comment as-tu procédé pour ta recherche d’emploi ?
Je me suis d’abord mis sérieusement à l’anglais et j’ai repris contact avec le réseau commando ce qui m’a permis d’avoir des propositions de poste au Yémen, au Nigéria et à Dubaï. Mon épouse en avait marre que je parte et après une explication “tendue”, elle m’a permis d’ouvrir les yeux sur mes capacités à partir sur autre chose. Un poste d’Adjoint au Directeur d’un centre UCPA était ouvert à Morlaix à ce moment-là.
J’ai donc repris mon CV en l’orientant pour mettre en avant mon passé militaire et dans le monde du sport, sans pour autant trop en mettre (mais suffisamment pour que le recruteur puisse lire en diagonale les éléments qu’il attend). Le Directeur du centre m’a appelé dix minutes après avoir envoyé ma candidature en me disant « vous avez un cv assez atypique, je serais assez intéressé pour vous rencontrer ».
Il s’avère qu’il cherchait quelqu’un sur qui se reposer avec une réelle expérience de vie
Nous nous sommes alors vus le lendemain. J’ai été transparent sur le fait que je ne connaissais pas techniquement le métier pour lequel je postulais mais que je savais m’adapter intellectuellement. Bien que je pensais que mon âge pouvait être une faiblesse (j’avais alors 50 ans), il s’avère qu’il cherchait quelqu’un sur qui se reposer avec une réelle expérience de vie (je ne savais pas qu’il avait déjà reçu treize personnes pour ce poste). Après que ce directeur m’ait accompagné jusqu’à ma voiture à côté de laquelle nous avons continué à échanger pendant une demi-heure, j’ai senti qu’il n’y avait pas de raison que je ne sois pas pris ! J’ai pris mon poste d’adjoint au directeur trois semaines après.
Le directeur, qui n’était pas issu du milieu de la natation, était en fait en plein burnout : il n’arrivait pas à diriger son équipe composée de “champions du monde” qui faisaient la loi sur le site. Suite à mon arrivée, le directeur s’est rapidement mis en arrêt maladie et je me suis alors retrouvé directeur par intérim. Il a donc fallu que je m’intéresse à des enjeux complètement nouveaux pour moi : données comptables, marketing, ressources humaines, etc. Un nouveau challenge !
Comment as-tu su capitaliser sur ton expérience militaire ?
Mon expérience militaire m’a beaucoup aidé pour la gestion des personnels et dans le fait d’être toujours rigoureux : il y avait besoin d’un cadre avec de la souplesse à l’intérieur, ce que j’ai appris chez les commandos. Mon passé de “confesseur” m’a permis de cerner rapidement les personnalités de chacun et de composer avec. J’ai commencé par fixer des bases de départ avec les limites d’intervention de chacun puis j’ai laissé les différents collaborateurs agir dans ce cadre afin de développer leur autonomie.
J’ai aussi apporté les bonnes pratiques du retour d’expérience après chaque situation complexe. Donner l’opportunité aux personnes de verbaliser ce qu’ils ont vécu est indispensable pour apaiser les esprits surtout qu’un incident peut marquer la carrière voire la vie d’un jeune maître nageur. Pour exemple, après les événements en Guinée-Bissau, on nous a simplement mis en sas au Sénégal pour faire redescendre la pression. Ce n’était pas la bonne solution car certains commençaient à beaucoup picoler et à se bagarrer lors des sorties quasi-quotidiennes en boîtes de nuit. Il fallait nous faire rentrer en France pour être accompagnés psychologiquement.
Ma pratique régulière du sport m’a aussi permis de prendre de le maximum de hauteur et d’être apaisé lors de situations complexes
Après chaque crise (ex. noyades qui heureusement ne se sont jamais mal terminées), nous nous réunissions avec l’équipe et les partenaires extérieurs comme les pompiers, afin de pouvoir désamorcer la douleur que peuvent vivre les maîtres nageurs. Ma pratique régulière du sport m’a aussi permis de prendre de le maximum de hauteur et d’être apaisé lors de situations complexes pour rapidement trouver des solutions.
Quels conseils donnerais-tu aux anciens militaires en recherche d’emploi ?
Pour ce qui est du CV, il est fondamental de donner envie au recruteur de nous connaître pour inviter à un échange. La façon avec laquelle j’avais tourné mon expérience militaire a su éveiller la curiosité du directeur. Pour tous les CV que je reçois de candidats postulant pour devenir “Responsable d’activités” de différents centres, j’essaie de voir de quelle manière la personne va être un plus pour l’activité. Puis en entretien, je tâche de voir si la personne va être dans l’attente de l’ordre ou si au contraire, elle va nous donner envie de l’accompagner.
Actuellement, les livres et reportages qui sortent régulièrement à ce sujet font que les Forces Spéciales sont en vogue. “MEF” à la véracité des propos car un recruteur civil connaîtra toujours un ancien militaire dans son réseau pour l’aider à lire entre les lignes du parcours du candidat et faire un « background check ».
Un autre problème est qu’encore beaucoup de personnes candidatent sans réellement prendre connaissance du poste ou encore de la structure dans laquelle ils postulent. Cette prise de renseignement est indispensable, surtout lorsqu’on postule pour un métier qu’on ne maîtrise pas encore. D’autres arrivent avec un projet peu cohérent en se disant “pourquoi pas après l’armée ?”. J’ai eu l’exemple d’un ingénieur de quart en sous-marin nucléaire qui avait postulé pour un poste de technicien au sein d’une piscine, ce qui était tout sauf cohérent pour un recruteur. Il faut prendre le temps de se positionner en tant qu’ancien militaire par rapport au niveau demandé par les entreprises et c’est d’ailleurs le reproche que je ferais aux services qui accompagnent les militaires dans leur reconversion.
Certains arrivent avec des prétentions financières ahurissantes alors qu’ils n’ont pas encore acquis d’expérience dans le privé
Il faut certes que les militaires s’évaluent avant de partir de l’institution, mais surtout qu’ils sachent ce qu’on peut leur proposer comme rémunération par rapport au niveau de responsabilité qu’un poste va leur demander. J’ai par exemple proposé des postes de directeur de centre à d’anciens collègues “Officier des sports”, ce à quoi la réponse était « je ne viens pas pour 3000 mais pour 5000 bruts » sans même essayer de comprendre les niveaux de salaires qui sont pratiqués. Certains arrivent avec des prétentions financières ahurissantes alors qu’ils n’ont pas encore acquis d’expérience dans le privé.
Un autre conseil que je pourrais aussi avoir est de se préparer à donner aux recruteurs les réponses qu’ils ont besoin d’entendre. Il faut bien entendu éveiller la curiosité sans non plus aller jusqu’au côté « cinéma » ou caricatural. Le monde civil peut avoir, par méconnaissance, un jugement faussé sur les armées et il suffit qu’un recruteur ait vu une émission sur les forces spéciales pour que le candidat issu des armées soit mis dans une case. Il faut aider le recruteur à sortir de ce schéma de pensée. Le fait d’avoir été dans l’armée ne doit pas être un boulet.
Qu’est ce qui a selon toi pu faire peur dans le fait que tu sois ancien militaire et au contraire, qu’est-ce qui a pu rassurer ?
Je n’ai pas eu le sentiment que le fait d’être ancien militaire inquiétait mes collègues. J’ai plus eu l’impression que cela les rassurait.
Par exemple, lorsque notre organisation va défendre un dossier dans le cadre d’un appel d’offres pour une délégation de service public, les chefs de projet (qui sont en général des jeunes ayant fait de brillantes études) ont toutes les compétences pour traduire efficacement des chiffres et verbaliser nos activités. Mon rôle est quant à lui d’accompagner lors des soutenances face à des élus. Bien entendu, je travaille énormément le dossier en amont, mais la maturité fait que le lien et le respect sont plus simples à créer avec l’auditoire. Le côté “ancien militaire” faisait quant à lui que je ne me laisse pas désarçonner par les questions car je prends à chaque fois le recul nécessaire pour préparer une réponse appropriée.
Ce que j’ai trouvé très intéressant chez les Commandos est l’autonomie intellectuelle que chacun a et qui nous pousse à développer notre façon de penser, notre pragmatisme, notre estime de soi ainsi que la conviction qui en découle (tout en restant humble). Ce “binômage” avec les chefs de projet nous a alors permis de gagner pas mal de dossiers !
Pourrais-tu m’en dire un peu plus sur ton métier actuel et ton périmètre d’activité ?
Du fait de ma connaissance de l’environnement local et de mon réseau, le siège parisien m’a proposé de prendre sous ma responsabilité la région Bretagne pour y développer l’activité. Coachant les nouveaux directeurs de centre ainsi que les anciens, mon rôle est de favoriser les synergies entre les sites afin de développer une force commune sur le plan marketing et d’assurer l’interface avec le siège, en particulier pour les décisions RH importantes.
Ayant commencé à la direction d’un centre, je pilote aujourd’hui 4 sites que je suis allé gagner au fil des appels d’offres et je m’occupe des actions événementielles de notre institution (ex. patinoires éphémères dans les centres-villes, élaboration de weekends sportifs pour de grands groupes, organisation de colonies de vacances, etc.). C’est très intéressant car je travaille avec du personnel jeune (je suis vraiment le plus vieux de la bande). Heureusement que je reste sportif afin d’effacer autant que faire se peut l’écart d’âge !
Quel(s) conseil(s) donnerais-tu à un ancien camarade se posant des questions sur une possible deuxième carrière ?
La première chose est de se demander si l’on souhaite continuer dans sa carrière civile sur une spécialité semblable à celle qu’on a eu dans les armées : la sécurité pour un ancien commando ou la mécanique pour un MECBO ? Je me suis clairement posé la question « est-ce qu’après la Marine, je veux faire infirmier à domicile comme tous mes collègues ? ». La réponse était non. Je suis un passionné de sport, ce qui a fait que je voulais aller vers ce monde.
Je conseillerais aussi d’avoir en amont un réel sas de décompression. Après avoir vécu des moments forts, choisir une dernière affectation moins « exposée » donnera plus de temps pour réfléchir à son vécu, faire une sorte d’auto-bilan de compétences, pour ensuite savoir comment se projeter dans le futur. Il faut absolument se demander si l’on a les moyens intellectuels pour se relancer dans des études ou encore si notre famille est prête pour se déplacer dans une nouvelle zone géographique.
Il ne faut pas non plus que la famille subisse le nouveau métier
Le sujet financier doit lui aussi ne pas être sous-estimé pour éviter une trop forte rupture familiale : un militaire pourra, pour de belles perspectives de carrière, quitter une situation financièrement confortable pour devoir commencer une nouvelle carrière au SMIC avant de progresser. Il ne faut pas non plus que la famille subisse le nouveau métier.
Les militaires qui ont franchi le pas se sont tous à un moment donné demandé s’ils avaient fait le bon choix. Les questionnements sur le fait d’être véritablement dans son élément sont légions car il y aura toujours un instant de rupture où l’on va se dire « finalement ce n’était pas si mal dans l’armée ». A ce sujet, je pense peu judicieux d’être revenu faire des périodes de réserve aux commandos. Ces piqûres de rappel me faisaient à chaque fois faire la comparaison entre ma vie dans le privé et ma vie militaire en dehors du fait de rencontrer des amis chers, ce lien indescriptible qu’en revanche je ne retrouve pas dans le privé…
Militaire d’active, vous initiez un projet de reconversion ?
Bonsoir.
Parcours exceptionnel et passionnant d’autant qu’il est conté avec une rare maîtrise de la langue française…
Aussi bien militaire, avant ou pendant la phase guerrière du COS, que civile !
En plus, parachutiste…
Merci pour ce quasi reportage et bravo à madame d’avoir supporté un tel phénomène et ses par trop fréquentes absences !
Cordialement.
DdCdN