David : De militaire à Chargé d’affaires exploitation dans le secteur de l’énergie
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Quel est votre parcours militaire ?
Enfant, j’ai toujours eu l’intention de devenir pilote de chasse or, à ma sortie de terminale, mon professeur de mathématiques m’a clairement dit que la filière « maths sup – maths spé » n’était pas faite pour moi car j’étais trop oisif bien que je pouvais en avoir les capacités. Rétrospectivement, je suis assez d’accord avec lui ! Voulant néanmoins travailler dans le domaine, j’ai rejoint l’IUT Aéro de Toulouse, où j’ai rencontré une personne qui m’a parlé du concours des EOPN (Elève Officier du Personnel Navigant). C’est ainsi que je me suis dit à mes 20 ans que ce serait dommage de ne pas tenter ma chance. Après avoir réussi le concours, les tests médicaux et la commission, je suis parti fin 1997 à Cognac pour passer pendant 5 semaines les sélections en vol.
Personne dans ma famille n’était militaire (il y avait même des « anti »), je ne connaissais pas du tout le milieu. La situation financière familiale étant tendue, je n’avais pas spécialement le droit à l’erreur car une partie du budget avait été investie dans mes études et cela m’a motivé pour réussir cette sélection. J’ai découvert un milieu qui m’a rapidement beaucoup plu, ne serait-ce que par la cohésion qui a su être créée en moins de 48 heures avec des élèves qui ne se connaissaient pas et venaient tous d’horizons divers.
J’ai ensuite rejoint Salon-de-Provence pour suivre les formations d’officier et de théorie, durant lesquelles les liens de promotion se sont encore plus renforcés. Direction ensuite Cognac pour la formation initiale commune à tous les pilotes de chasse, de transport et d’hélicoptères de l’Armée de l’Air et de la Marine. La formation était si bien faite que j’ai, après ce tronc commun, réussi à être retenu sur la spécialité « chasse » alors que je n’avais jamais volé dans le civil, faute de moyen. J’ai alors enchaîné sur le « tronc chasse » à Cognac avec beaucoup plus de vols en formation et des navigations plus difficiles, qui m’ont permis de rejoindre Tours en 1999 et son école de l’aviation de chasse (permettant d’obtenir le brevet de pilote de chasse).
Comme dans n’importe quelle entreprise, ce n’est qu’une fois qu’on y est que l’on apprend le métier
J’ai pu dans cette école passer sur un avion à réaction Alphajet (ceux utilisés par la Patrouille de France). La formation s’est globalement bien passée, hormis une petite difficulté sur la navigation qui a été levée assez rapidement grâce à l’aide de mon parrain (c’est peut-être pour cela que je suis aujourd’hui en entreprise partisan du tutorat !). Sur une vingtaine de personnes au départ, j’ai pu terminer 3ème de la formation et le 1er février 2000, j’étais officiellement macaroné « pilote de chasse ». Comme n’importe quel diplôme, cela ne sert pas à grand-chose car comme dans n’importe quelle entreprise, ce n’est qu’une fois qu’on y est que l’on apprend le métier.
J’ai donc suite à cela rejoint l’Ecole de Transition Opérationnelle à Cazaux où l’on change la manière d’aborder les choses car les personnes qui nous apprennent le métier ne sont plus des instructeurs mais deviennent des leaders. Ces six mois intensifs sont rythmés par du tir aérien air-air et air-sol ou encore du vol en formation à quatre avions. A la sortie de cette école, nous sommes à nouveau classé, cette fois-ci en poule pour pouvoir répartir dans les différents escadrons des pilotes aux niveaux variés pour ne pas avoir que les bons dans les escadrons de défense aérienne et les mauvais dans le nucléaire. Il faut aussi relativiser les disparités entre chacun des lauréats car une des forces est de former des personnes qui auront à l’issue un niveau assez homogène. Contrairement à la majorité des jeunes qui sortent, je voulais faire de l’aviation de chasse de bombardements voire de la reconnaissance (je ne voulais pas faire de défense aérienne et des combats fictifs).
En juillet 2000, j’ai alors été affecté à Nancy sur Mirage 2000D, un avion biplace qui permettait d’optimiser au maximum l’utilisation de l’outil. Dans un avion biplace, la répartition des rôles fait que le système fonctionne beaucoup mieux. Le pilote a la main sur tous les enjeux « court terme » et liés à la sécurité. Il peut y avoir des propositions de la part du navigateur qui est très expérimenté, mais les décisions finales propres au pilotage sont toujours accordées au pilote. S’il y a une manœuvre qu’il ne sent pas, il ne la fera pas même si le navigateur lui dit de la faire. Le navigateur est plus quant à lui sur l’anticipation et va se pencher sur le moyen et le long terme.
Les décisions sont au final souvent meilleures qu’en monoplace
Il y a une vraie symbiose dans l’équipage, ce qui fait qu’en opération, beaucoup de choses sont challengées et les décisions sont au final souvent meilleures qu’en monoplace. Le risque cependant est que l’on peut devenir intransigeant et ne pas laisser la place au dialogue (je l’ai moi-même été par moment, estimant que j’avais raison et me faisant passer à côté de choses). Heureusement, ce n’est pas tout le temps comme ça ! Après avoir passé mes premières qualifications en tant qu’équipier de guerre, je suis déclaré « pilote opérationnel » en mars 2003.
Un mois après cette qualification, je pars en tant qu’équipier en opération à Djibouti avec pour but de faire de l’aguerrissement en poussant les machines plus loin dans leur domaine de vol (il y a des choses que l’on ne peut pas faire en France). Cela m’a malheureusement aussi appris la vie car pendant ce détachement, le leader qui est venu avec moi s’est crashé avec son binôme. J’avais perdu des collègues d’autres promotions en tant qu’élève mais la situation était différente car nous étions très proches après ces deux mois passés dans un cocon assez restreint. Ces deux décès m’ont fait grandir et mûrir.
De retour en France en 2003 durant une période où il n’y avait pas beaucoup d’opérations, j’en ai profité pour me préparer à la qualification supérieure de sous-chef de patrouille. C’est un gros step chez nous car on devient leader d’une patrouille de deux avions ainsi qu’instructeur. L’année se passe très vite, avec un binôme navigateur qui passait sa qualification équivalente en même temps que moi. Il y a eu une osmose incroyable dans l’avion : mon chef disait à l’époque qu’ils n’avaient pas vu des qualifs de ce niveau depuis très longtemps. Après l’obtention en mars 2004 de la qualification je suis rattrapé par la RH et doit alors partir en tant qu’instructeur à Cognac, là où j’étais passé cinq ans auparavant.
Cela m’a fait sortir du milieu très fermé de l’escadron de chasse
Je n’avais pas spécialement envie d’y aller et au final, les deux années que j’y ai passées m’ont énormément appris humainement et personnellement. Cela m’a fait sortir du milieu très fermé de l’escadron de chasse et j’ai pu y rencontrer des instructeurs venant d’autres horizons comme le transport. J’ai aussi eu, pour pouvoir transmettre et donner envie aux élèves de choisir la chasse, à appréhender différemment une machine que j’avais connu élève. Mon fils est aussi né pendant cette période et cela m’a résolument permis de me recentrer sur ma famille car ma femme ne me voyait pas beaucoup auparavant ! Je suis aussi allé former des pilotes au Sénégal, en prenant la route de Saint-Exupéry ce qui est mythique pour un pilote.
En revanche, rétrospectivement, je me suis aperçu que j’étais intransigeant au possible. Je m’étais mis une certaine pression en tant qu’élève et je n’acceptais pas que certains élèves soient moins investis. Je poussais toujours plus loin les élèves brillants pour qu’ils montent de plus en plus haut, les élèves moyens quant à eux me trouvaient très dur et j’avais par contre du mal à accompagner les élèves « mauvais ». Heureusement pour eux, je n’étais pas tout seul ! Quelques-uns sont venus me voir plus tard dans leur carrière en me disant que cela faisait aussi du bien de prendre des « coups de pied au cul ». Il n’y a donc pas que des regrets mais je n’avais pas encore assez mûri à l’époque sur les enjeux de transmission. J’ai toujours eu des parrains très durs et j’ai reproduit cela alors qu’il y avait presque une génération d’écart. Mais il ne faut pas non plus se leurrer car ces pilotes militaires ne peuvent faire défaut pour protéger leur vie voire celle de leurs équipiers.
Suite à cela, je suis retourné à Nancy pendant 11 ans où j’ai enchaîné les opérations dans tous les pays qui se finissent en « stan » où l’on pouvait voir des militaires français mais aussi en Afrique. J’ai aussi passé la dernière qualification française qui est celle de « Chef de patrouille », donnant le droit d’emmener au combat quatre avions et plus : c’est un peu comme la ceinture noire d’arts martiaux, à partir de laquelle on commence à vraiment s’approprier son métier. Avant on applique les règles, en revanche après, on peut commencer à proposer et à essayer des choses.
J’ai ensuite pu mettre tous ces enseignements en application avec des Anglais, des Italiens et des Américains.
En 2009 je suis muté à l’escadron de transformation en qualité d’instructeur sur Mirage 2000D où j’apprends à gérer la sécurité des vols, avec un petit peu plus de facteur humain bien que je ne devienne jamais instructeur « facteur humain » (je ne m’en sentais pas assez capable et patient). Suite à cela, j’ai suivi le « Tactical Leadership Program » où toutes les nations se retrouvent pour former les « Mission Commanders » de l’OTAN. Il s’agit d’une formation intensive d’un mois et demi où l’on apprend par exemple à connaître les autres aéronefs étrangers et l’on est surtout confronté à des missions avec 30 ou 40 avions sous sa responsabilité. En tant que responsable du montage de la mission et de leader en vol, j’ai ensuite pu mettre tous ces enseignements en application lors d’opérations en Afrique et au Moyen-Orient avec des Anglais, des Italiens et des Américains.
A partir de 2015, j’ai pris le poste d’officier « utilisation opérationnelle » où, en relation avec le centre d’expérimentation de Mont-de-Marsan et des industriels, mon rôle était de faire évoluer le matériel. C’est un véritable travail d’équipe avec beaucoup d’échanges pour garder une vision opérationnelle dans les évolutions et la mise en application de l’utilisation de ces équipements. Je suis parti en opération en Irak avec ce titre « OUO » pour pouvoir assurer et suivre le déploiement de systèmes dont on avait mené l’étude. Sortie de tout ça, je pensais avoir fait le tour du sujet Mirage 2000D et les RH, plutôt partants pour me garder dans l’armée, m’ont proposé de partir sur Rafale.
Pourquoi avez-vous quitté l’institution ?
Un souci médical m’a fait perdre toutes mes aptitudes « pilote ». Il faut donc se remettre d’aplomb et prendre une décision : soit je partais, soit je restais pour être muté dans une autre unité mais en ayant toujours quelqu’un à mes côtés en tant que pilote, soit j’acceptais un placard à Paris. Il était en revanche certain que je perdrais la possibilité d’avancement dans le corps des officiers supérieurs. Au fil d’échanges avec ma famille entre autres, j’ai décidé de partir et un des avantages de l’armée est que l’on n’est jamais mis à la porte lorsque l’on a fait une belle carrière. Il est bien entendu aussi nécessaire de se prendre en main car il faut le dire, on est relativement assisté dans les armées ! Quand on est pilote, on est encore plus assisté car on est le fer de lance de l’armée et on a toujours un mécanicien pour préparer son avion, un(e) secrétaire pour remplir ses heures de vol, etc. On peut avoir tendance à se laisser aller en pensant que d’autres vont faire pour soi et s’il y a un premier conseil à donner, c’est celui d’être proactif.
Depuis tout petit, il était clair qu’il n’était pas question que je devienne pilote de ligne car cela ne correspondait pas à ce que je voulais faire (c’est comme passer d’une Formule 1 à un autobus). J’ai commencé à réfléchir à ce qui me plaisait le plus dans l’armée et au-delà du vol qui est indéfinissable, c’est la partie management d’équipe que j’appréciais le plus. En opérations au Mali en 2014, j’ai eu la chance d’être désigné par le commandement pour être responsable de la gestion des opérations. Pour faire simple, j’avais mes avions, mes mécanos, mes armements : le commandement me donnait des missions et je faisais en sorte qu’elles soient réalisées. Bien que j’aie pu y donner beaucoup de ma personne (j’ai perdu plus de 10kg en deux mois), ces enjeux véritables de planification m’ont beaucoup plu.
Sans vouloir paraître prétentieux, plusieurs mécaniciens m’ont dit, lorsque j’ai réuni tous les personnels à la fin du détachement du Mali pour les remercier, qu’ils avaient vu beaucoup de commandants d’escadrille mais rarement de tels détachements. C’est une chose qui reste et sur laquelle j’ai essayé de m’appuyer pour le passage dans le civil. Je souhaitais retrouver un fonctionnement collaboratif et pas uniquement diriger du haut vers le bas. C’était de la vraie collaboration car lorsque je disais à mes mécaniciens « il faut que la mission passe » et qu’ils avaient à travailler de jour et de nuit pour atteindre les résultats, je faisais en sorte qu’ils aient 2-3 jours à ne rien faire pour se reposer une fois le rush passé. Ce win-win à l’anglo-saxonne était fantastique et dans cette phase du « qu’est-ce que je vais faire en quittant l’armée », ce sont ces choses-là qui sont remontées.
Qu’avez-vous fait sur le plan professionnel depuis votre sortie des Armées ?
Je suis ensuite allé faire un bilan de compétences individualisé au sein d’un cabinet qui a évalué le fait que j’avais un niveau d’ingénieur. Très bien, mais je n’avais qu’un diplôme “bac+2” reconnu par le ministère de l’éducation nationale au titre de mes diplômes militaires. J’avais une idée de ce que je voulais faire : du management humain, technique et opérationnel mais pas de la grande direction d’entreprise. En parallèle, je me suis donc inscrit sur une formation en ligne pour un Bachelor en management et en gestion des entreprises avec comme objectif de montrer sur mon CV que j’avais un diplôme autre qu’un certificat militaire (bien qu’il soit reconnu au RNCP) et d’apprendre le vocabulaire et les enjeux de gestion inhérent au monde civil.
J’ai été servi ! Comptabilité, fiscalité, réglementations européennes, RSE, code du travail…beaucoup de choses que l’on n’a pas connu dans les armées. Il était aussi nécessaire de transformer “commandement” en “management” même si dans la réalité (en tout cas dans l’Armée de l’Air), les deux sont assez similaires car il y a toujours du consensus et rarement des « c’est comme ça ». Ce Bachelor était très intéressant mais ne m’a pas apporté grand-chose humainement car l’armée m’avait beaucoup appris à ce niveau. J’ai simplement appris à le reconnaître car je suis sorti de l’armée en me disant « je ne sais rien faire d’autre que piloter un avion ». L’aide que j’ai eu de la part d’un cabinet spécialisé m’a permis de comprendre l’étendue des possibles et de me positionner sur le bon niveau de poste car je ne visais finalement pas assez haut.
Je tâche surtout de leur dire qu’il faut qu’ils aient confiance en eux
C’est d’ailleurs pour cela que j’essaye de rester ouvert quand d’anciens militaires me contactent pour des conseils. Je tâche surtout de leur dire qu’il faut qu’ils aient confiance en eux, en particulier pour ceux qui souhaitent faire complètement autre chose que l’aéronautique (travailler chez Dassault, Thalès ou des sous-traitants dans l’aéronautique n’est pas réellement un changement de milieu). J’ai plusieurs camarades qui occupent des responsabilités encore bien plus grandes que les miennes (ex. CEO de filiales de grands groupes) mais uniquement parce qu’ils se sont donnés les moyens d’apprendre un autre métier et qu’ils avaient confiance en eux.
J’étais pour ma part plutôt partie dans l’optique où je ne voulais pas commencer trop haut si je devais réapprendre un métier et ce, pour pouvoir connaître la base avant que l’on m’offre la possibilité d’évoluer. Cela favorise la prise de confiance et pour ce qui est des divas au sortir de l’armée (car il peut y en avoir), c’était aussi des divas dans l’armée à mon sens. Les personnes avec une trop forte opinion d’elles-mêmes se voient tout de suite et je ne suis pas sûr qu’elles réussissent vraiment à part si elles ont un vrai piston. Je reste cependant aussi assez lucide sur l’image du pilote de chasse qui peut ouvrir des portes.
Comment vous y êtes-vous pris dans votre recherche d’emploi et comment auriez-vous pu mieux vous y prendre avec le recul ?
J’ai commencé à faire un CV que j’ai présenté à une connaissance “ingénieure commerciale” qui adore lire et critiquer les CV. A partir des éléments que j’ai pu retirer du bilan de compétences individualisé et de ses conseils, nous avons traduit mon parcours car les termes « commandant d’escadrille » ou encore « officier de sécurité de sécurité des vols » n’étaient absolument pas parlants dans le civil. J’ai pris le temps de transposer correctement mes différentes expériences, de les faire critiquer et de les mettre en forme.
Comme la majorité des personnes qui cherchent réellement un emploi, je me suis inscrit sur Indeed, LinkedIn, l’APEC et j’ai passé des heures sur internet pour envoyer des candidatures dans tout type d’entreprises : logistique, Leroy Merlin, Peugeot-Citroën en me disant que cela allait bien marcher à un moment. J’ai eu un premier entretien dans une société de maintenance où le but était de gérer 30 personnes, un autre pour être responsable du pôle brancardage dans un hôpital, etc. Lorsque les recruteurs déclinaient ma candidature ou que je n’avais pas de réponse, je relançais et j’allais au débriefing. Je pense que c’est important pour toute personne en recherche, surtout que nous avons cette habitude dans les armées. Il s’avère que mon CV pouvait faire peur : des recruteurs me trouvaient trop qualifié et pensant que j’allais m’ennuyer, ils pressentaient que je pouvais leur claquer dans les doigts au bout d’un an par ennui.
Rétrospectivement, les RH avaient raison car ils savent réellement où ils mettent les pieds. J’ai fait quelques entretiens qui n’ont rien donné et malgré la baisse de motivation, j’ai continué à ne rien lâcher et à toujours personnaliser mes candidatures. Les CV et lettres de motivation sont essentiels car ce n’est que par ce biais que l’on peut aller chercher un entretien, qui donne ou non le job à l’issue. J’ai eu ensuite la chance de trouver un conseiller qui était dédié à 20 personnes et qui a su pousser mon CV auprès d’entreprises auxquelles je ne me serais pas adressé de manière spontanée, ne pensant pas être en mesure d’épouser certains jobs. C’est par ce biais que j’ai découvert ma future entreprise.
Comment s’est passé votre process de recrutement ?
L’intitulé du poste et le périmètre d’intervention correspondaient à ce que j’adorais et à ce que j’ai su faire tout au long de ma carrière militaire, mais je pensais ne pas en avoir les compétences : l’entreprise recherchait un ingénieur en électrotechnique avec de l’expérience, ce qui n’était pas du tout mon cas. Je n’ai pas fait de candidatures spontanées mais, grâce à l’action de ce conseiller, j’ai été contacté par une Responsable RH qui s’était dit « Qu’est-ce que l’on fait de ce CV ? Ce serait dommage de laisser passer ça ». Je pense que beaucoup de militaires avec de l’expérience, quelle que soit leur formation, peuvent susciter la curiosité pour créer ce type de situation, ne serait-ce que par leur flexibilité ainsi que leur capacité d’adaptation et à gérer une équipe.
J’ai quelques temps après pu rencontrer deux directeurs de l’ingénierie et l’exploitation qui se sont libérés pendant plus de deux heures. C’était une journée très intense dont je suis sorti « satellisé » : je ne me souviens pas de grand-chose de cet entretien ! J’ai pu avoir des questions pièges auxquelles des militaires ne savent, à mon avis, pas trop répondre comme « combien vous voulez, combien valez-vous ? », c’est indéfinissable surtout que l’on ne m’avait, à ce moment-là, pas proposé de poste. Je ne vais pas demander 5000 si je suis balayeur en revanche, cela sera peut-être le cas si l’on me propose d’être directeur de centre. La sensation à la fin de la journée était globalement assez bizarre.
Je leur ai clairement expliqué qu’il me manquait différents éléments par rapport à l’offre d’emploi.
J’ai été rappelé quinze jours après afin de passer un nouvel entretien pour le poste que j’avais vu et lorsque l’on m’a demandé pourquoi je n’avais pas postulé, je leur ai clairement expliqué qu’il me manquait différents éléments par rapport à l’offre d’emploi. Nous avons parlé de management d’équipes, de formation et de capacité à apprendre. J’ai découvert, en prenant mon poste, qu’une entreprise recrute à un niveau minimum pour être sûr d’avoir des compétences, mais quoi qu’il arrive, les recrues vont être formées : le travail de beaucoup de structures est tellement spécifique qu’on ne peut pas véritablement l’apprendre à l’école.
A ce sujet, la formation dans mon entreprise est d’une part faite par tutorat (parallèle intéressant avec l’armée !), ce qui aide beaucoup pour la découverte de l’entreprise, du métier, mais aussi des syndicats, du CE, etc. Il y a d’autre part une académie interne à Lyon qui est incroyable : cela ressemble beaucoup à ce que l’on faisait à l’armée avec un peu de théorie, beaucoup de pratique et l’on se confronte au fur et à mesure aux difficultés pour pouvoir monter en compétences. Ce qui est intéressant est que ce n’est pas forcément l’atteinte à proprement parler des objectifs qui est jugée mais plutôt la montée en compétences.
Après cette deuxième session d’entretiens, j’ai été rappelé par la direction de Paris qui s’occupe des cadres pour passer par les fourches caudines de leur cabinet de recrutement (qui était censé faire le filtre et que j’avais d’une certaine manière contourné) afin qu’ils vérifient si j’avais bien les compétences d’un ingénieur. J’ai à nouveau dû passer une batterie de tests, qui étaient assez compliqués mais qui m’ont rassuré au final car les résultats me positionnaient comme un profil « Bac+5 ++ » dans les 20% de la population les plus à l’aise avec la complexité des systèmes. Après un entretien avec le responsable des cadres, j’ai été rappelé par ma future chef directe une semaine après pour m’annoncer la bonne nouvelle. Il s’avère que les conditions salariales qui m’ont été proposées étaient supérieures à ce que je demandais.
Pourriez-vous m’en dire un peu plus sur votre métier actuel ?
Partant complètement dans l’inconnu, j’ai pris un gros coup de boost. Je ne suis pas du genre à “flipper” sur le futur car durant toute ma carrière, j’ai toujours avancé marche par marche sans faire fondamentalement de projet. Cela va d’ailleurs peut-être me coûter un jour dans le civil car je n’ai pas de plan de carrière : le seul but est que le travail soit intéressant. Je ne retrouverai jamais les sensations que j’ai pu avoir auparavant, que ce soit en vol, dans la gestion des opérations ou dans le fait de mettre sa vie en jeu. Je prends les choses sérieusement mais avec beaucoup moins de stress que dans l’armée et ça aide.
Cela va faire deux ans que je suis un poste. Le but de mon entreprise est que le service soit toujours délivré du producteur jusqu’au consommateur et ce même s’il l’on fait des travaux sur les lignes. Il y a des personnes qui gèrent en temps-réel le flux d’électricité ainsi que les avaries et pour ma part, je suis à l’étape juste avant. Mon rôle est de préparer les schémas réseaux, d’assurer les relations avec tous les clients pour les prévenir des possibles perturbations ainsi que de coordonner les interventions avec les équipes de maintenance et d’ingénierie. J’ai commencé par trois mois de formation où je n’ai rien produit (il y a je pense peu d’entreprises qui laissent autant de temps à une personne pour apprendre en partant de zéro). Suite à cela je suis intervenu pendant trois mois sur les échéances “court terme » (planifier les actions de J-1 jusqu’à J-15).
Je suis ensuite passé sur les échéances annuelles : je gère, à partir de fin novembre, tous les placements et aléas pour l’année à venir. Le but est que toutes les équipes soient bien coordonnées de sorte que si l’avarie anticipée se produit, toutes les procédures soient mises à plat pour que l’on puisse continuer à délivrer nos services à tous nos clients.
En quoi votre expérience militaire vous aide dans vos responsabilités actuelles ?
La première chose est la gestion du stress. Quand mes collègues me demandent si je suis stressé, je leur réponds que je peux être énervé, en colère, agacé mais que je ne suis pas stressé. Je connais assez bien mon niveau de stress et il s’avère qu’il est assez loin de ce que je peux vivre au quotidien. L’apport de l’armée est que cela m’a permis de toujours repousser cette barrière de stress et ce, tout au long de ma carrière.
L’armée m’a aussi appris à apprendre. Il y a une quantité importante de choses à appréhender quand on est pilote de chasse et comme tous les militaires, on apprend tout le temps. Mon cerveau a toujours travaillé et j’adore cela : je sais organiser ma formation et je connais mes points faibles quand il y a des choses que je ne comprends pas.
L’adaptabilité est un atout non-négligeable. A partir du moment où sa vie est en jeu, un militaire apprend à s’adapter et cela sert dans la vie de tous les jours ! J’utilise dans mon poste actuel des outils qui nous servaient à planifier nos missions qu’on appelait auparavant des « What if » : s’il arrive quelque chose, qu’est-ce que je fais ? Pour l’avoir suivi tous les jours pendant 20 ans, la façon de hiérarchiser avec la règle des 4T (Task, Target, Threats, Tactic) est toujours aussi efficace pour ne pas se disperser. Lorsque sur mon planning je n’ai que 15 minutes de « libre » devant moi, je ne vais pas me mettre sur une affaire compliquée à traiter mais plutôt sur des sujets simples en attente et qui ne vont pas me prendre de temps. Je ne traite pas tout de manière chronologique comme certains peuvent le faire.
Ce qui aide aussi, et en particulier lors de la reconversion, est le goût de l’évolution et l’envie de grandir. On se lance un nouveau défi et lorsque l’on réussit, c’est une satisfaction personnelle non-neutre. De plus, l’armée m’a beaucoup apporté en matière d’écoute, ce que je ne faisais pas lorsque j’étais instructeur à Cognac mais que j’ai appris à la fin de ma carrière. Cela se traduit par le fait que je veux comprendre ce que les gens attendent de moi ou du projet, avant de pouvoir prendre un temps d’analyse et ensuite intervenir de manière pertinente. Il ne s’agit bien entendu pas d’une qualité qui est propre aux militaires mais c’est l’armée qui me l’a apprise.
Qu’est-ce que vous auriez pu mieux faire en quittant l’armée ?
Avoir plus confiance en moi, demander de l’aide plus tôt pour perdre moins de temps et changer de conseiller pour trouver quelqu’un en qui j’avais vraiment confiance, comme ce fut le cas après plusieurs mois. J’aurais aussi pu viser un diplôme plus haut et investir plus de mon temps et de mon argent pour aller chercher quelque chose qui m’aurait apporté plus sur la connaissance d’une entreprise, que ce soit un Master ou un MBA. J’ai sans doute visé trop court par manque de confiance en moi et je le ferai sans doute un jour en cours du soir, ne serait-ce que par culture.
J’aurais peut-être dû faire un bilan de compétences plus tôt. Quand je ne savais pas trop ce que je voulais faire en 2015, j’ai pu faire une Session Bilan Orientation avec Défense Mobilité, dont les tests de personnalité avaient à peu près donné les mêmes résultats que le bilan de compétences fait ensuite. Lorsque l’on est chauffeur dans l’armée et que l’on veut faire chauffeur en sortant, une SBO suffit largement pour apprendre des choses mais, quand on est chef de groupe tireurs d’élite ou pilote de chasse, c’est à dire des choses qui ne sont pas directement transposables dans le civil, s’impose un bilan de compétences personnalisé qui s’étale sur plusieurs semaines afin de laisser le temps de la réflexion.
Quand on sort des forces spéciales et que l’on veut faire autre chose que de la sécurité, il faut faire ce travail d’analyse au plus tôt. D’ailleurs, beaucoup de gens idéalisent les pilotes de chasse et en tant que pilote, ce sont les forces spéciales que j’idéalise ! Je sais ce qu’ils ont au fond d’eux, ce qu’ils sont capables de faire et l’intellect qu’ils ont. Or eux aussi se sous-estiment très souvent lorsqu’ils font une reconversion.
Quels sont les sujets sur lesquels des compétences ont pu vous manquer lors de vos débuts en entreprise ?
J’étais complètement sec en arrivant ! Une chose à laquelle on peut peut-être mieux se préparer est la gestion humaine de personnes qui ne vont pas toutes dans le même sens. Dans l’armée, quelle que soit l’équipe, il y a toujours des individualités mais les militaires avancent tout le temps dans le même sens pour faire que la mission soit une réussite. Une très grande majorité des militaires travaille pour l’armée et pour la France. Ce n’est pas forcément le cas en entreprise où les employés travaillent pour la reconnaissance, pour l’argent, pour avoir des loisirs et parfois pour l’équipe ou l’entreprise.
Être mieux préparé à cela m’aurait évité des décalages avec certaines personnes. Des immersions d’une ou deux semaines dans une entreprise (qui ne nous prendra peut-être pas) pourrait d’ailleurs être d’une grande aide. J’ai appris et surtout, j’ai la chance d’avoir un collectif incroyable autour de moi maintenant. Cela permet de discuter sans qu’il y ait d’animosité, de tension ou encore de violence. C’est en échangeant avec mes collègues que j’ai beaucoup appris car mon image pouvait aussi être incomprise. Lorsque le chef demandait quelque chose, je le faisais systématiquement pour l’entreprise, je ne prenais pas une décision pour moi mais pour le bien de l’entreprise et, s’il fallait que je travaille deux heures de plus, je le faisais.
Ce n’était pas pour me faire mousser mais c’était pour le bien de l’entreprise et il a fallu que je l’explique à mes collègues. J’ai aussi su mettre de l’eau dans mon vin pour mieux coller au collectif de l’entreprise. Il reste cependant toujours au fond de moi le fait que mon but est que l’activité de l’entreprise tourne parfaitement et que le service soit au rendez-vous. Mes collègues ont suggéré au management une évolution de poste d’ici l’année prochaine qui n’était pas du tout prévue et ce, alors que je n’avais rien demandé. C’est le meilleur des moteurs et mieux que n’importe quelle prime.
Après ces années en entreprise, en quoi selon vous ce monde diffère des armées ?
La différence majeure est qu’en entreprise, chaque personne est un profil alors que dans l’armée, le schéma est plutôt “des personnes = le même profil”. J’ai des collègues de différents services pour lesquels “17h00” correspond à la fin du service, alors que d’autres sont dans la démarche « je sais que je ne peux pas tout faire mais je finis dans la journée la mission que je me suis donné aujourd’hui ».
L’armée forme très bien mais façonne aussi la personnalité des militaires et la manière de penser. Cette formation est faite pour que tous les militaires, qu’ils soient fantassins ou pilotes de char, aient la même base. Pour le moment, les formations que j’ai pu suivre en entreprise sont axées sur le savoir et pas forcément sur la partie « être ». Il y a moins cette notion du facteur humain et du savoir-être au sens large du terme.
Qu’est-ce qui peut être apprécié par un manager lorsqu’il va recruter un ancien militaire et au contraire, qu’est-ce qui pourrait lui faire peur ?
Aujourd’hui, nous sommes 4 anciens militaires dans le service et nous avons tous la même notion d’investissement personnel, qui me semble être appréciée. En général, les militaires sont aussi pertinents dans leurs interventions et peuvent apporter un nouveau point de vue ainsi qu’une autre façon de gérer le facteur humain. Il faut pour autant rester humble et ne pas arriver avec ses gros sabots en disant « moi je suis militaire, voici mon placard de médailles donc fait ça, c’est sûr que cela marchera ». Il est nécessaire de savoir écouter et ensuite proposer des pistes pour des personnes qui peuvent être plus timorées dans leur manière d’aborder les choses.
Il y a des choses qui m’interpellent, que je ne comprends pas ou qui ne plaisent pas et je le dis clairement mais, je tâche d’apporter une solution. Je ne vais pas être râleur pour être râleur mais c’est peut-être un des avantages du militaire. Quand je préparais une mission, même si j’étais leader, je n’avais pas tout le temps la science infuse donc je m’appuyais sur les personnes en-dessous, qui étaient parfois plus jeunes et qui avaient une idée de génie. Il y avait auparavant dans mon entreprise des profils de recrutement très standardisés mais, les recruteurs commencent depuis quelques années à s’ouvrir à des profils complètement différents pour avoir cette ouverture d’esprit. Il n’y a pas que le profil militaire mais cela peut aider à sortir de cette notion de « clonage » des profils.
Quels conseils pourriez-vous donner aux personnes en recherche d’emploi ?
J’inviterai un militaire qui souhaite changer d’orientation à postuler sur des postes pour lesquels il sait pertinemment que ce n’est pas forcément ce qu’il recherche. Il faut absolument acquérir en amont de l’expérience lors d’entretiens d’embauche pour ensuite aller chercher le vrai monde qui nous intéresse. Tout se joue sur l’entretien et on ne peut pas s’y entraîner tant que l’on n’y ait pas confronté en réel. Si mon premier entretien dans mon entreprise actuelle avait été fait sans expérience préalable, je n’aurais pas eu le poste car je n’aurais pas été bon.
Je conseillerais aussi de se placer dans un rôle d’apprenant quand on quitte l’armée, malgré le fait que l’on ait pu être un expert reconnu dans son milieu. Ce n’est pas forcément facile mais il faut accepter que ce soit terminé. J’ai pu dire à d’anciens camarades « arrête de penser comme un pilote de chasse, maintenant tu te dois d’apprendre à faire tel métier ». A mon arrivée dans le monde l’entreprise, beaucoup de personnes me questionnaient sur mon passé et sans être froid, j’essaye toujours de couper court à la conversation car cela laisse une image pénible à traîner. Je veux que, lorsque j’arrive au travail, on me voit comme le responsable de la planification qui fait son travail, et non comme le pilote de chasse.
Il faut vraiment couper avec ce milieu et cette expérience que les personnes avec qui je vais travailler n’auront jamais vécu. Je le garde pour moi si l’on me pose des questions, pourquoi pas ? En parler mais très brièvement car il est nécessaire de se mettre dans un rôle d’apprenant dans un nouveau monde. J’ai été pilote de chasse du premier jour où je suis rentré dans l’armée jusqu’au dernier jour. Je n’ai jamais coupé lorsque j’étais militaire, je vivais “pilote de chasse” et il faut savoir en entreprise se dire « j’ai fait une carrière mais il est nécessaire de trancher et arrêter ». Tourner la page est fondamental car ce ne sont plus les mêmes enjeux, les mêmes personnels, le même objectif et le même fonctionnement. Il y a quelques personnes qui continuent à faire de la réserve, pourquoi pas ? J’y réfléchis moi-même mais il faut essayer le plus possible de ne pas ramener l’armée au sein de l’entreprise avec des « dans l’armée on aurait fait comme ça ». Le succès et surtout le plaisir en découleront.
Militaire d’active, vous initiez un projet de reconversion ?
A la retraite j ai exactement vécu à l identique ce descriptif. Pilote de chasse puis dans le civil et la chance de mon entreprise de m envoyer pour me mettre à niveau à l insead à Fontainebleau.